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Lituanie. Renvois forcés, détention illégale et mauvais traitements infligés à des personnes réfugiées ou migrantes

  • De nouvelles informations font état de mauvais traitements infligés à des personnes qui sont passées en Lituanie depuis le Bélarus
  • Ce traitement contraste fortement avec celui dont bénéficient les personnes qui arrivent d’Ukraine
  • La Commission européenne ne respecte pas les obligations qui sont les siennes au titre de la législation de l’UE

Les autorités lituaniennes ont placé en détention de façon arbitraire des milliers de personnes dans des centres militarisés où elles ont été soumises à des conditions de détention inhumaines, à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, a déclaré Amnesty International le 27 juin. Dans un nouveau rapport, l’organisation montre que des personnes réfugiées ou migrantes sont détenues depuis des mois dans des conditions sordides dans des centres ressemblant à des prisons en Lituanie, où elles sont privées d’accès à une procédure d’asile équitable et soumises à d’autres graves violations des droits humains, ce traitement visant à les amener à retourner « volontairement » dans les pays qu’elles ont fuis.

Ce traitement contraste fortement avec la façon dont sont reçues en Union européenne (UE) les personnes qui fuient la guerre en Ukraine.

Amnesty International a mené des entretiens avec des dizaines de personnes venant de pays tels que le Cameroun, la République démocratique du Congo, l’Irak, le Nigeria, la Syrie et le Sri Lanka, qui ont été placées en détention de façon arbitraire. De nombreuses personnes ont dit avoir été battues, insultées et soumises par des gardiens à un harcèlement et à des intimidations motivées par la haine raciale, dans des centres de détention fortement militarisés où les installations sanitaires et les soins de santé sont insuffisants.

« En Irak, on entend parler des droits humains et des droits des femmes en Europe. Mais ici, les droits sont inexistants, a déclaré une femme yézidie qui a été détenue dans le centre de détention de Medininkai, non loin de la frontière avec le Bélarus.

« Traiter de façon égale et respectueuse toutes les personnes qui cherchent une protection et une obligation. Les nombreux témoignages recueillis par Amnesty International montre que ce n’est malheureusement absolument pas le cas en Lituanie. Des personnes y ont été détenues de façon illégale pendant des mois, dans des conditions abominables, et y ont été victimes de traitement dégradant, de sévices physiques et psychologiques. Ces personnes doivent immédiatement être libérée et avoir accès à une procédure d’asile équitable » déclare Olivier Pirot, Directeur d’Amnesty International Luxembourg.

« Si la Lituanie a accueilli à bras ouverts des dizaines de milliers de personnes ayant fui l’Ukraine, elle a réservé un tout autre traitement aux personnes que nous avons interrogées. Cela met en évidence de graves inquiétudes concernant le racisme institutionnel bien enraciné dans le système migratoire lituanien. » a déclaré Nils Muižnieks, directeur pour l’Europe à Amnesty International.

Détention illégale automatique et privation du droit d’asile

En juillet 2021, alors que le nombre de personnes arrivant à la frontière entre la Lituanie et le Bélarus augmentait, le corps législatif a adopté une nouvelle loi prévoyant le placement en détention automatique des personnes entrant de façon irrégulière sur le territoire lituanien. Afin de priver les personnes détenues des garanties juridiques instituées par l’UE contre la détention arbitraire, les autorités ont qualifié cette forme de détention d’« hébergement provisoire » et même d’« alternative à la détention ».

En conséquence, des milliers de personnes, dont beaucoup ont besoin d’une protection internationale, ont été détenues de façon prolongée. Pendant des mois, nombre de ces personnes ont également été privées de tout contrôle judiciaire de la légalité de leur détention. La demande d’asile de nombreuses personnes n’a jamais été examinée. Des milliers d’autres personnes ont été violemment repoussées à la frontière vers le Bélarus, où elles n’ont aucune possibilité de demander une protection.

Des conditions de détention inhumaines

Amnesty International s’est rendue dans deux centres de détention en Lituanie, les Centres d’enregistrement des étrangers de Kybartai et de Medininkai, et a mené des entretiens avec 31 personnes.

Plusieurs centaines d’hommes sont actuellement détenus dans le centre de Kybartai, qui a servi de prison jusqu’en septembre 2021, date à laquelle les autorités ont commencé à l’utiliser pour la détention de personnes réfugiées ou migrantes. Il y a des barreaux aux fenêtres, les portes sont sécurisées et ce centre est entouré d’un haut mur d’enceinte. Les hommes qui y sont détenus sont soumis à des restrictions de leurs déplacements à l’intérieur même de ce centre, et ils ne peuvent prendre une douche chaude que deux fois par semaine. Depuis des mois, ce centre est surpeuplé et les sanitaires, lavabos, toilettes et douches, sont dans un état repoussant.

Un homme syrien a dit à Amnesty International en mars : « Je veux remercier la Lituanie de nous avoir accueillis […] Mais ici, nous ne sommes pas bien traités. C’est une prison et non un camp. Il y a partout du fil barbelé, pourquoi ? Je ne suis pas un criminel, je suis un réfugié. »

Mauvais traitements infligés à des personnes en détention

Plusieurs autres centaines de personnes sont détenues dans le centre de Medininkai, où elles dorment dans des conteneurs sur un terrain de football. Les personnes sont obligées de sortir pour aller aux toilettes, et de marcher dans la neige pendant les très rigoureux hivers lituaniens. Les personnes détenues à qui Amnesty International a pu parler étaient apeurées à cause de l’agressivité des gardiens dans ce centre. Des personnes détenues ont parfois protesté à cause de leur détention arbitraire et de leurs conditions de détention lamentables. De nombreuses personnes ont expliqué que les autorités ont réagi face à ces mouvements de protestation en les frappant, notamment avec des matraques, et en utilisant du gaz poivre et des pistolets Taser.

Dans la matinée du 2 mars 2022, un escadron antiémeute a fait irruption dans le centre de détention de Medininkai, à cause d’un mouvement de protestation qui avait eu lieu la veille au soir. Des femmes et des hommes ont dit que des gardes et des policiers les ont frappés avec leurs mains, à coups de matraque et avec des pistolets Taser ; menottés et emmenés depuis leurs « chambres » dans des conteneurs ; et qu’ils ont humilié sexuellement un groupe de femmes noires qui ont été forcées de rester dehors dans le froid, à moitié nues et les poignets attachés, puis qu’ils ont enfermé ces femmes dans un conteneur, comme le montre une vidéo visionnée par Amnesty International. Au moins 12 personnes ont par la suite été transférées dans d’autres centres.

Il ne s’agit pas d’un cas isolé. De nombreuses informations font état de mauvais traitements, constituant dans certains cas des actes de torture, et d’une utilisation disproportionnée de la force, notamment avec l’utilisation de gaz poivre et d’autres équipements spécialisés. Des personnes ont aussi été placées à l’isolement, et mordues par des chiens quand elles tentaient de s’échapper. Un psychologue qui travaillait dans ce centre ferait actuellement l’objet d’une enquête pour des faits présumés de violences sexuelles infligées à des personnes détenues dont il s’occupait.

Amnesty International a également réuni des informations indiquant que des personnes détenues racisées, en particulier des femmes et des hommes noirs, ont subi des insultes racistes très choquantes.

« Joséphine », une jeune femme venue d’Afrique subsaharienne, a déclaré : « Le gardien a dit “On vous envoie dans la forêt pour chasser” […] Il y a du racisme partout ici, ils sont très racistes, tous les gardiens. Quand on tombe malade et qu’on demande une ambulance, ils disent qu’ils n’en appelleront une que si on perd connaissance. Nous n’aimons pas être ici. Personne n’aime les personnes noires. Pourquoi ? »

Une procédure d’asile et un système d’assistance juridique conçus pour empêcher les gens d’obtenir gain de cause

En août 2021, la Lituanie a empêché des personnes arrivées sur son territoire de façon irrégulière de déposer une demande d’asile dans le pays. Les autorités lituaniennes n’ont manifestement guère pris en considération les requêtes de personnes qui avaient précédemment déposé leur demande ou qui avaient exceptionnellement été autorisées à en déposer une. Elles n’ont pas respecté la procédure, elles ont empêché les personnes demandeuses d’asile d’accéder aux preuves nécessaires et elles se sont souvent abstenues de procurer des services d’interprétation adéquats.

Amnesty International a déclaré que le système d’assistance juridique en place était une imposture. Les avocat·e·s qui ont pour mission de représenter des personnes demandeuses d’asile dans les procédures d’asile sont recrutés par le Service de l’immigration alors qu’ils sont censés contester les décisions de ce même service, ce qui les expose donc à un risque de conflit d’intérêts.

« Ce système spécial entraîne un dangereux risque de conflit d’intérêts. Des avocat·e·s normalement embauchés pour assister et défendre des personnes réfugiées ou migrantes manquent régulièrement à leur devoir de les aider, agissant parfois même contre leur intérêt devant les tribunaux. Cette imposture représente un obstacle supplémentaire pour les personnes qui recherchent une protection », a déclaré Nils Muižnieks, directeur pour l’Europe à Amnesty International.

Il est temps de tourner la page

Les autorités lituaniennes ont récemment déclaré qu’elles ne chercheront plus à prolonger la détention au-delà de la limite actuelle de 12 mois, mais elles n’ont toujours pas précisé la manière dont elles apporteront réparation pour les violations qu’elles ont commises l’an dernier. Elles doivent apporter réparation puisqu’elles ont enfreint à la fois le droit international et le droit de l’UE.

« Une année s’est écoulée depuis l’adoption de la législation d’« exception » et la mise en place de la politique et des pratiques connexes qui ont causé tant de difficultés et de souffrances. Il est donc grand temps pour la Lituanie de tourner la page. Les autorités lituaniennes doivent immédiatement libérer toutes les personnes qui se trouvent toujours en détention au titre du régime de l’ »hébergement provisoire », garantir l’accès à une procédure d’asile équitable, indemniser tous les préjudices physiques et psychologiques qui ont été subis, enquêter sur les mauvais traitements et abroger toutes les lois préjudiciables qui ont été adoptées en 2021 et 2022 ».

La politique européenne de conciliation

L’Union européenne (UE) a laissé s’installer un système à deux vitesses au cours des derniers mois. Alors que les Ukrainiens et Ukrainiennes reçoivent une protection dans l’UE et sont traités avec la compassion qui leur est due, des personnes qui fuient d’autres pays sont enfermées et se heurtent à de multiples obstacles dans un système entaché par le racisme et d’autres formes de discrimination.

La Lituanie a tenté de « légaliser » les renvois forcés illégaux, la détention automatique et le déni du droit d’asile dans son droit interne, et la réaction de la Commission européenne est allée de l’éloge pur et simple à l’approbation tacite. La direction de la Commission a dit aux membres du Parlement européen que les renvois forcés illégaux sont de fait illégaux, mais elle a laissé entendre qu’il n’existe aucune preuve tangible de tels agissements. Le rapport d’Amnesty International rendu public le 27 juin apporte des preuves plus que suffisantes, tout comme l’ont fait d’autres organisations internationales et groupes locaux au cours de l’année écoulée.

La Commission européenne tarde à déclencher une procédure d’infraction contre la Lituanie alors que la législation, la politique et les pratiques de ce pays ont violé de façon flagrante le droit international et celui de l’UE. Parallèlement, des agents de Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, continuent d’apporter leur aide aux garde-frontières lituaniens, notamment pour la surveillance des frontières et d’autres activités pouvant contribuer à des violations des droits humains.

« Cela fait un an que la législation lituanienne n’est pas conforme avec la législation de l’UE. Il est inacceptable que la Commission européenne n’ait toujours rien fait pour exiger de la Lituanie la mise en conformité de sa législation. Par son inaction, la Commission européenne signifie purement et simplement aux États membres que la législation de l’UE peut être violée sans conséquences », a déclaré Olivier Pirot, directeur d’Amnesty International Luxembourg.

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