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LFR : lettre ouverte au formateur du nouveau gouvernement concernant le droit de l’enfant

Luxembourg, le 20 octobre 2023

Monsieur le formateur,

Alors que le nombre de mineurs non accompagnés arrivant au Luxembourg à la recherche d’une protection ne cesse d’augmenter1 nous souhaitons vous interpeler sur certaines pratiques du ministère en charge de l’immigration et de l’asile particulièrement problématiques au regard des droits de l’enfant, notamment sur les questions du regroupement familial et de la fouille de leurs téléphones portables.

Actuellement, des dizaines d’enfants bénéficiaires de la protection internationale souhaitant être rejoints par leurs parents voient leur demande de regroupement familial refusée. Cela concerne particulièrement les enfants avec un membre de leur famille déjà présent sur le territoire luxembourgeois. Ces refus sont motivés par le fait que la loi relative à l’immigration2 prévoit, selon l’interprétation donnée par l’administration, que seuls les mineurs « non accompagnés » au sens strict du terme ont le droit d’être rejoints par leurs parents. Vous paraît-il acceptable de priver des enfants de leurs parents au seul motif que d’autres personnes de leurs familles qu’ils ne connaissent parfois que très peu vivent déjà au Luxembourg ?

Ces derniers mois nous avons assisté à une évolution remarquable de la jurisprudence des juridictions administratives. Plusieurs des décisions prises par le ministre de l’Immigration et de l’Asile ont été annulées par les juges3 au motif que celles-ci violaient les droits fondamentaux de ces enfants en ne respectant ni leur intérêt supérieur ni leur droit à la vie privée et familiale. Nous nous réjouissons de ces décisions qui reconnaissent la primauté des droits fondamentaux et prennent pleinement la mesure de la vulnérabilité de ces enfants et de leur droit de connaître et être élevés par leurs parents.

Il est surprenant de constater que l’Etat a systématiquement fait appel de ces jugements Le ministre de l’Immigration et de l’Asile a évidemment le droit d’aller en recours mais il ne faut pas oublier que commence alors une nouvelle attente de plusieurs mois pour ces enfants avant de connaitre la position finale de la Cour administrative4 Cela les maintient dans l’incertitude, la souffrance et prolonge la séparation d’avec leurs parents. Le gouvernement luxembourgeois rappelle très fréquemment son attachement au respect et à la promotion des droits fondamentaux, attachement que nous partageons.

Le ministre des Affaires Etrangères et européennes, Jean Asselborn, a lui même déclaré au cours d’une conférence de presse que « l’intérêt supérieur de ces enfants doit primer » 5. Nous partageons pleinement votre préoccupation mais cette dernière ne ressort pas de la pratique actuelle du ministère.

C’est pourquoi nous demandons que les demandes de regroupement familial introduites par des enfants soient analysées au prisme de leur intérêt supérieur et «dans un esprit positif, avec humanité et diligence»6, sans que la présence d’un membre de la famille sur le territoire luxembourgeois n’exclue la possibilité de faire venir les parents.

Nous sommes également fortement préoccupés par la pratique consistant à fouiller les téléphones portables des jeunes venus introduire leur demande de protection internationale à la Direction de l’Immigration. Sonder les téléphones des personnes venues demander l’asile est une atteinte à la vie privée mais le problème se pose avec encore plus d’acuité lorsque cela concerne des enfants. Ces fouilles se font en dehors de toute base légale et sans que la personne puisse connaitre la portée des recherches effectuées et la façon dont les données collectées seront utilisées par la suite. Nous émettons de fortes réserves quant à la nécessité, la proportionnalité et l’efficacité d’une telle mesure7. En l’absence de cadre légal clair et sans possibilité de vérifier que les enfants ont donné leur consentement libre et éclairé, nous
estimons que cette fouille du téléphone portable doit être interdite.

Rappelons que la protection et la promotion des droits de l’enfant fait partie de l’une des quatre priorités que le gouvernement précédent a établi pour le mandat luxembourgeois au Comité des droits de l’homme de l’ONU. Il est grand temps de mettre la politique nationale envers les enfants exilés en cohérence avec les engagements internationaux, et avec notre nouvelle Constitution qui consacre aussi les droits de l’enfant.

Nous espérons sincèrement que le nouveau gouvernement prendra en compte nos préoccupations et amendera les pratiques actuelles dans le respect des droits des enfants exilés.

Dans l’attente de votre retour sur ces sujets, nous vous prions d’agréer, Monsieur le formateur l’expression de notre considération la plus haute.

Signataires :

  • David PEREIRA, Représentant du secrétariat Lëtzebuerg Flüchtlingsrot
  • Gibert PREGNO, Président Commission Consultative des Droits de l’Homme
  • Charel SCHMIT, Défenseur des droits de l’enfant Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher
  • Catherine WARIN, Président Passerell
  • Maryse ARDENT, Présidente UNICEF Luxembourg

1 En 2022, 164 mineurs se sont présentés à la Direction de l’Immigration dans le but de demander la protection
internationale.

2 Loi du 29 août 2008 relative à l’immigration et la libre circulation des personnes.

3 Trib. Administratif, n°47439 du rôle, 30 mars 2023 Trib. Administratif, n°47402 du rôle, 23 mars 2023 Cour
administrative, n°46806C du rôle, 21 avril 2022.

4 Le 12 octobre 2023, la Cour administrative a confirmé le jugement du Tribunal administratif n°47439 du rôle, estimant
qu’un refus de regroupement familial pour une mineure accompagnée constituait une atteinte disproportionnée à son droit à la vie privée et familiale en méconnaissance de son intérêt supérieur (Cour adm., n°48893C du rôle, 12 octobre 2023).

5 MARQUES David, « ils cherchent par centaines à trouver refuge au Luxembourg », 27 septembre 2022, Le Quotidien,

6 Article 10 de la Convention relative aux droits de l’enfant

7 Avis 04/2021 sur les projets de loi n°7681 et 7682, Commission consultative des droits de l’homme, avril 2021