Manifestations pour la justice raciale suite à la mort de George Floyd lors d'un violent affrontement avec la police dans le Minnesota. Centre de Washington, DC, États-Unis, 3 juin 2020. © Amnesty International (Photo: Alli Jarrar)

Lettre ouverte à l’ambassade chinoise

Suite au refus de notre pétition et des bouquets des roses par l’ambassade chinoise au Luxembourg pour commémorer les victimes de la place Tienanment il y a vingt ans, nous adressons cette lettre ouverte à l’ambassade chinoise
Monsieur l’ambassadeur Il y a vingt ans, au printemps de l’année 1989, les médias occidentaux nous transmettaient des informations jusque là inimaginables à nos yeux et oreilles, des manifestations paisibles et publiques d’étudiants sur la place Tiananmen à Bejing demandant plus de liberté et de démocratie. Nous connaissions si peu de la vie intérieure de la République populaire de Chine que l’idée même de l’existence de manifestations regroupant des dizaines de milliers de jeunes faisait naître en nous espoir et optimisme, dont la naïveté allait cependant être démontrée brutalement quelques semaines plus tard. La nuit du 3 au 4 juin 1989 fût marquée par la répression armée et violente contre ceux qui s’étaient rassemblés pour faire valoir leur droit à la liberté d’expression. Des centaines de manifestants trouvèrent la mort ou furent blessés. De nombreuses personnes, qualifiées à tort ou à raison de dissidents, ont dû fuir la Chine par crainte de persécutions. Ceux qui ne voulaient ou ne pouvaient pas prendre la fuite furent emprisonnés et certains d’entre eux n’ont toujours pas retrouvés la liberté. Permettez-nous de citer l’exemple de Zhu Gengsheng, condamné pour « sabotage contre-révolutionnaire » pour avoir agité un drapeau en criant « nous sommes en train de gagner » sur un char incendié et qui se trouve toujours derrière les barreaux après avoir été, dans un premier temps, condamné à mort. Le cas de Jiang Yaqun est une autre illustration ; âgé d’une quarantaine d’années au moment de son arrestation, il avait été condamné à mort avec sursis et ne devrait pas être libéré avant octobre 2014. Nous ne prétendons pas détenir la seule et unique vérité sur les évènements dont nous venons de commémorer le vingtième anniversaire. A l’instar des familles et des proches des victimes de la répression, auxquels nous voulons donner par ce biais une voix, nous demandons cependant que soit enfin menée une enquête transparente et indépendante sur les évènements de 1989. Ne dit-on pas dans votre pays si riche en culture et traditions que « les vérités qu’on aime le moins à apprendre sont celles qu’on a le plus d’intérêt à savoir » ? Un certain nombre de personnes toujours emprisonnées avaient été déclarées coupables de crimes « contre-révolutionnaires », qui n’existent cependant plus dans le Code pénal chinois depuis 1997. La libération immédiate de ces personnes s’impose dès lors à nos yeux au regard de la justice et de l’équité. Il reste dangereux pour vos concitoyens de rappeler publiquement ce qui s’est passé en 1989, tel que le démontre le cas de Huang Qi, originaire du Sichuan, qui avait été emprisonné entre août 2001 et juin 2005 pour « incitation à la subversion de l’Etat ». Son crime ? Il avait publié sur un site internet les noms des personnes arrêtées à la suite de la répression militaire contre les militants en faveur de la démocratie. Libéré en 2005, il fût arrêté à nouveau en juin 2008 et attend son procès en détention, bien qu’il soit atteint d’une maladie grave. D’autres personnes ont également été condamnées à des peines d’emprisonnement après 1989 pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression, par exemple, en hébergeant des sites de discussions en ligne ou en publiant des poèmes commémorant la répression. Des représentantes du groupe des « Mères de Tiananmen » font régulièrement l’objet de harcèlement policier ou de placement en détention arbitraires. En mai de cette année, il leur a été interdit de participer à une cérémonie de deuil en souvenir des évènements du 4 juin 1989. C’est aussi en leur nom que notre association a organisé le 4 juin dernier à Luxembourg-Ville une commémoration publique du vingtième anniversaire des manifestations de 1989 et de leurs répressions. Nos militants et de nombreux sympathisants ont déposé symboliquement des roses en mémoire des victimes et ont souscrit à l’appel aux autorités de votre pays pour mener une enquête transparente et indépendante sur ces évènements, de libérer les personnes qui sont toujours détenues vingt ans après et de mettre un terme à la répression contre les militants des droits humains dans votre pays qui exercent leur droit à liberté d’expression afin de permettre un débat publique sur un sujet qui le mérite certainement. Tout comme par le passé, nous avions également demandé à vous rencontrer de même que nous vous avions adressé les messages et les roses déposés à l’occasion de la cérémonie de commémoration. Malheureusement, comme par le passé, votre ambassade a refusé de réceptionner ces messages et n’a pas donné suite à notre demande de dialogue. Nous nous voyons dès lors contraint de nous adresser par cette voie à vous et aux autorités que vous représentez dans notre pays alors que nous restons persuadés que seul un dialogue permettra d’abandonner des préjugés de part et d’autre. Souscrivant profondément et activement aux droits fondamentaux tels qu’ils sont inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, nous continuerons à dénoncer publiquement les violations graves de ces droits et à interpeller les autorités de quelque pays qu’il soit à chaque fois qu’elles sont à l’origine de ces violations ou ne font rien pour les empêcher. Pour Amnesty International Luxembourg Frank WIES Président

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