En Géorgie, la police a de plus en plus souvent recours à des violences liées au genre, telles que des insultes sexistes, des menaces de violence sexuelle et des fouilles au corps illégales et dégradantes, contre les femmes qui participent à des manifestations, dans un contexte de campagne plus générale visant à intimider et punir les manifestant·e·s pacifiques, indique Amnesty International dans une nouvelle synthèse rendue publique vendredi 23 mai.
Les scènes de brutalité policière et de violentes agressions physiques par des personnes non identifiées contre des manifestant·e·s pacifiques se sont multipliées de façon inquiétante depuis le début d’un puissant mouvement de protestation pro-européen et anti-gouvernemental qui a éclaté dans le pays l’an dernier. Défiant la répression des autorités, les manifestantes sont devenues des symboles de courage – mais aussi les cibles des humiliations et des violences physiques et psychologiques infligées par des membres des forces de l’ordre et leurs assistants non identifiés.
« Les autorités ont peut-être espéré qu’en ciblant les femmes avec des menaces de violence sexuelle, des descentes à leur domicile, des fouilles au corps illégales et des détentions arbitraires, elles écraseraient l’esprit de résistance, dissuaderaient les manifestant·e·s de se rassembler à nouveau et les réduiraient au silence. Cependant, les femmes de Géorgie se sont révoltées encore plus vigoureusement, en dénonçant ces violences, en demandant justice et en affichant leur résistance et leur défiance face à la répression », a déclaré Denis Krivosheev, directeur adjoint pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale à Amnesty International.
Une violence d’État et des fouilles au corps déshumanisantes
Au cours des derniers mois, Amnesty International a recueilli de nombreux témoignages de manifestant·e·s ayant subi des insultes sexistes et des menaces de violence sexuelle, ainsi que des fouilles au corps humiliantes. Ce traitement semble cibler de plus en plus les femmes, qui en sont les principales victimes. Ces violences sont non seulement contraires au droit géorgien, qui interdit le déshabillage complet lors des fouilles, mais également au droit international relatif aux droits humains et aux normes connexes visant à préserver la dignité humaine et à protéger les personnes des violences fondées sur le genre.
Elene Khoshtaria, une dirigeante de l’opposition, a raconté avoir été maîtrisée avec brutalité par des policières, déshabillée et forcée à s’allonger nue par terre lors de son arrestation le 28 mars 2025. Malgré ses problèmes de santé, les agentes ont refusé de la laisser accéder à des médicaments et à des toilettes après qu’elle a eu une crise d’hypertension et a été prise de vomissements.
Kristina Botkoveli, cofondatrice d’un groupe Facebook de protestation, a été forcée à se déshabiller entièrement devant sa mère âgée, en plus de subir des menaces lors d’une descente de police à son domicile le 1er février 2025. Elle a fait une crise d’angoisse qui a nécessité une prise en charge médicale urgente.
La militante Nino Makharadze a été arrêtée lors d’une manifestation pacifique le 13 janvier 2025 et soumise à une fouille corporelle invasive dans un centre de détention provisoire. Elle n’a pas été autorisée à informer ses proches du lieu où elle se trouvait et n’a pu contacter son avocat qu’après cette fouille au corps. Le 5 mai, elle a signalé avoir été prise dans une embuscade avec deux amies alors qu’elles rentraient d’une manifestation. Un agresseur non identifié les a aspergées de gaz poivre et de peinture verte en les insultant. Les trois femmes ont subi des blessures, notamment des brûlures chimiques qui ont nécessité une hospitalisation.
Des violences verbales et des intimidations sexistes
Les insultes sexistes et les menaces de violence sexuelle contre des manifestant·e·s pacifiques constituent une autre tactique communément employée par les forces de l’ordre pour intimider et harceler. Lors de la manifestation du 2 février 2025 près d’un centre de commercial à Tbilissi, une personne représentant Amnesty International a vu des policiers traiter des manifestantes de « putes » et les menacer ainsi que leurs familles. Plusieurs femmes ont également déclaré avoir été menacées de viol par des fonctionnaires masqués.
Après son arrestation au cours d’une manifestation le 19 novembre 2024, Natia Dzidziguri a été forcée à s’agenouiller dans un fourgon de police, entourée d’hommes tandis que des policiers lui jetaient des insultes sexistes et faisaient des gestes à caractère sexuel.
Mzia Amaghlobeli, journaliste de renom, a été arrêtée à deux reprises le 11 janvier 2025 lors de manifestations pacifiques. À chaque fois, elle a subi des insultes sexistes de la part de policiers, et le chef de la police de Batumi lui aurait craché dessus et l’aurait menacée de violence. Les autorités ont utilisé la vidéo dans laquelle Mzia Amaghlobeli gifle ce dernier, à la suite de leur altercation, pour la poursuivre. Elles n’ont en revanche pas tenu compte de la vidéo où le chef de la police la couvre d’insultes sexistes et d’autres propos violents. Mzia Amaghlobeli a été placée en détention à l’issue d’une audience expéditive lors de laquelle elle a subi une injustice supplémentaire quand le juge a refusé d’examiner le moindre élément présenté par la défense. Jusqu’à présent, les autorités n’ont pas enquêté sur les policiers accusés de mauvais traitements et d’insultes contre elle ou d’autres manifestant·e·s. Aucun agent ayant fait l’objet de graves allégations, de la part de Mzia Amaghlobeli ou d’autres personnes, n’a été suspendu de ses fonctions pendant l’enquête.
Des violations systématiques, et non des cas isolés
Les cas signalés ne sont pas isolés et semblent relever d’une pratique plus large des violences et de l’impunité au sein des organes chargés de l’application des lois en Géorgie. Les humiliations, les propos sexistes et les violences physiques visant des manifestantes dans le pays s’inscrivent dans une politique généralisée d’intimidation des personnes qui participent aux manifestations actuelles. Selon des défenseur·e·s des droits humains vivant sur place, de nombreuses victimes de traitements humiliants de la part de policiers, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes, se taisent par crainte ou par honte.
Ces agissements, qui peuvent constituer des formes de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, sont non seulement contraires à la Constitution et à la législation de la Géorgie, mais aussi à ses obligations découlant du droit international, notamment de la Convention des Nations unies contre la torture, et des normes connexes.
« Des fouilles au corps illégales, invasives et dégradantes semblent être utilisées en Géorgie pour humilier et intimider les manifestant·e·s, en particulier les femmes. Il s’agit d’une violation manifeste du droit national et international. Les autorités géorgiennes doivent immédiatement mettre fin à toute forme de représailles fondées sur le genre et à tout recours illégal à la force par les responsables de l’application des lois, enquêter sur toutes les allégations de violence pendant les manifestations et veiller au respect de l’obligation de rendre des comptes à tous les niveaux », a déclaré Denis Krivosheev.