Des enquêtes internationales et la possibilité de rendre visite aux détenus sont essentielles à la prévention de nouveaux abus
Les forces amharas de sécurité sont responsables de la forte augmentation du nombre d’arrestations de masse, de tueries et d’expulsions forcées collectives de membres de l’ethnie tigréenne dans le territoire de l’ouest du Tigré (nord de l’Éthiopie), ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch jeudi 16 décembre.
Des civil·e·s tigréens essayant d’échapper à cette nouvelle vague de violence ont été attaqués et tués. Exposées à un risque de torture, de famine et de privation de soins de santé, des dizaines de personnes placées en détention sont en danger de mort.
« Cette nouvelle offensive menée par les forces amharas contre les civil·e·s tigréens se trouvant toujours dans quelques villes de l’ouest du Tigré doit alerter », a déclaré Joanne Mariner, directrice du programme Réaction aux crises à Amnesty International.
« Faute de mesures urgentes de la part de la communauté internationale, les Tigréen·ne·s, en particulier en détention, sont en grave danger.
Depuis le début du conflit armé, en novembre 2020, l’ouest du Tigré, territoire administratif convoité, a été le théâtre de certaines des pires atrocités, notamment des massacres, des bombardements aveugles, et des déplacements forcés de grande ampleur visant la population tigréenne.
Le 2 décembre 2021, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies a signalé que 1,2 million de personnes ont été déplacées de l’ouest du Tigré depuis que le conflit a commencé. Un rapport des Nations unies rendu public le 9 décembre a indiqué qu’entre le 25 novembre et le 1er décembre, plus de 10 000 Tigréen·ne·s ont été déplacés de l’ouest du Tigré. Ce document a également souligné que l’ouest du Tigré reste inaccessible aux agences humanitaires du fait de problèmes de sécurité.
En novembre et décembre, Amnesty International et Human Rights Watch ont mené des entretiens téléphoniques avec 31 personnes, notamment 25 témoins et victimes, ainsi qu’avec des proches de personnes détenues et expulsées, au sujet des violations perpétrées par des miliciens amharas et les forces régionales amharas de sécurité contre des civil·e·s tigréens, dans les villes d’Adebai, Humera et Rawyan.
Depuis début novembre, les forces de police et des miliciens de la région amhara, notamment des groupes connus sous le nom de Fano, effectuent des rafles systématiques visant des Tigréen·ne·s à Adebai, Humera et Rawyan. Ces groupes ont séparé des familles, appréhendé des adolescents dès l’âge de 15 ans, et des hommes et des femmes civils. Ils ont expulsé de force de cette zone des femmes et des enfants plus jeunes, ainsi que des personnes malades et âgées. Certaines des personnes expulsées sont depuis lors arrivées dans le centre du Tigré, tandis que d’autres manquent à l’appel.
« Des Tigréen·ne·s, tous âges et sexes confondus, ont été emmenés dans une école », a déclaré un homme de Rawyan ayant été témoin de rafles effectuées par la milice. « Ils ont séparé les jeunes et les vieux, pris leur argent et d’autres affaires. […] Les personnes âgées, les parents ont été forcés à monter à bord de gros camions se dirigeant vers l’est. Ils sont partis sans rien, tandis que les jeunes ont été laissés sur place. »
À la suite de rafles à Humera les 20 et 21 novembre, deux témoins ont dit avoir vu une vingtaine de camions transportant de nombreuses personnes se dirigeant vers le centre du Tigré ces jours-là.
Six témoins ont déclaré que les forces amharas ont tiré sur des Tigréen·ne·s qui essayaient de fuir les rafles à Adebai et les ont attaqués avec des bâtons et des objets tranchants. Un nombre indéterminé de personnes ont été tuées. « Ils ont ouvert le feu sur toutes les personnes à portée de tir qui couraient », a déclaré un paysan de 34 ans originaire d’Adebai, qui a couru jusqu’à des champs voisins pour se cacher des miliciens Fano qui s’en prenaient à la population. « Lorsque des gens essayaient de s’enfuir […] [les Fano] les attaquaient à coups de machette et de hache pour que personne ne puisse s’échapper […] Nous passions à côté de cadavres et nous étions tous en état de choc […] Après nous être calmés, nous avons vu qu’il y avait d’autres corps là aussi. Où que l’on regarde, il y avait cinq, 10 corps sans vie. » Quatre témoins ont déclaré que des personnes armées ont également tiré sur des Tigréen·ne·s qui franchissaient la frontière avec le Soudan.
Des images satellites enregistrées entre le 19 novembre et le 5 décembre mettent en évidence une forte activité à Adebai, notamment des véhicules en mouvement, des groupes de personnes autour d’un lieu de détention improvisé, de grandes quantités de débris sur la route principale et des structures incendiées. Des images prises le 5 décembre à Humera montrent 16 camions dont l’arrière est découvert près du rond-point central de la ville.
Trois anciens détenus de la prison d’Humera, dont certains avaient été incarcérés pendant cinq mois avant de pouvoir s’échapper en novembre, ont déclaré que les autorités amharas les plaçaient dans des cellules fortement surpeuplées pour des périodes prolongées. Les gardiens les privaient de nourriture et de soins médicaux, et torturaient et frappaient à coups de bâton et de crosse de fusil des détenus dont les mains et les pieds avaient été liés. Un ancien détenu arrêté le 19 juillet s’est échappé vers le 13 novembre alors qu’il chargeait les corps sans vie d’autres détenus sur un tracteur. Il a dit qu’il avait eu connaissance de la mort de 30 personnes lorsqu’il était incarcéré sur place, notamment sept des 200 hommes qui partageaient sa cellule : « Nous avons tous pris des coups, mais les plus vulnérables étaient les hommes âgés », a-t-il déclaré. « Ils ne pouvaient pas supporter la torture, c’est pour cela qu’ils mouraient. » Il a ajouté que des membres de la milice Fano qui les frappaient menaçaient tous les Tigréens de mort.
Les rafles, les placements injustifiés en détention et les expulsions forcées ont séparé des familles, et les habitant·e·s de ces trois villes cherchent désespérément à obtenir des informations sur la sécurité de leurs proches et le sort qui leur a été réservé, car un grand nombre d’entre eux ont été forcés à monter à bord de camions et continuent à manquer à l’appel. Un homme ayant fui Adebai fin novembre a déclaré : « Ma femme et ma mère m’ont appelé il y a quatre jours et m’ont dit qu’on les avait fait monter à bord de véhicules, et qu’elles ne savaient pas où on les emmenait. Après cela, je n’ai plus eu de nouvelles d’elles. »
Les autorités éthiopiennes doivent immédiatement mettre un terme aux attaques visant les civil·e·s, obtenir la libération des personnes placées en détention arbitraire, et fournir de toute urgence un accès sans restriction à l’ouest du Tigré aux agences et organisations humanitaires autorisées à se rendre dans les lieux de détention, ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch.
Compte tenu de la gravité des violations qui continuent à être perpétrées, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies doit établir de toute urgence un mécanisme international indépendant chargé d’enquêter sur les violations commises dans le cadre du conflit dans le Tigré, notamment les violations graves du droit international humanitaire (les lois de la guerre), d’identifier les responsables présumés à tous les niveaux, et de préserver les éléments de preuve dans une optique d’obligation de rendre des comptes.
Les déplacements forcés et les attaques délibérées contre la population civile portent atteinte aux lois de la guerre. Quiconque se trouve en détention a le droit d’être traité avec humanité et de voir sa dignité respectée, et notamment de recevoir de la nourriture et des soins médicaux adéquats. Ordonner le déplacement de civil·e·s pour des raisons autres que leur sécurité ou un impératif militaire, attaquer des civil·e·s qui ne participent pas directement aux hostilités, et soumettre des détenu·e·s à la torture ou à d’autres formes de mauvais traitements sont des crimes de guerre.
« L’inaction mondiale face au conflit armé en Éthiopie encourage les auteurs de violations des droits humains à agir en toute impunité, et donne aux populations en danger l’impression d’être abandonnées », a déclaré Laetitia Bader, directrice pour la Corne de l’Afrique à Human Rights Watch.
« Alors que les preuves d’atrocités s’accumulent, les dirigeants mondiaux doivent soutenir la création d’un mécanisme international d’enquête, et le Conseil de sécurité des Nations unies doit ajouter l’Éthiopie à son ordre du jour officiel. »
Pour prendre connaissance des informations sur l’Éthiopie réunies par Amnesty International, veuillez vous rendre à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/fr/location/africa/east-africa-the-horn-and-great-lakes/ethiopia/