Crise humanitaire à Lampedusa : le reflet de politiques défaillantes

En deux jours, des centaines d’embarcations de fortune sont arrivées sur l’île de Lampedusa, en Italie. Plus de 6 000 personnes étaient présentes à bord. Face à ce nouveau drame, la réponse des autorités italiennes est très insuffisante. Tout comme la solidarité européenne.

Un nourrisson âgé de cinq mois seulement a perdu la vie au large de Lampedusa, dans la confusion des opérations de débarquement menées par les garde-côtes italiens. Sa mère, une mineure guinéenne, a été sauvée avec les 45 personnes avec lesquelles elle voyageait sur une embarcation partie de Sfax, en Tunisie. 

L’agitation était telle à Lampedusa ces dernières heures que l’attention s’est vite déportée de ce drame : en deux jours, plus de 6 000 personnes sur plus d’une centaine d’embarcations ont débarqué sur l’île par leurs propres moyens ou avec l’assistance des garde-côtes.

Ces personnes proviennent pour la plupart de pays subsahariens. Nombre d’entre elles sont mineures.

Elles sont parties depuis la Libye, touchée récemment par le cyclone Daniel, et surtout depuis la Tunisie. 

Des moyens d’accueil insuffisants

Les nombreuses personnes qui ont débarqué à Lampedusa ces dernières heures sont confrontées à l’insuffisance de l’intervention de l’État italien.

Les médecins et autres professionnel·les de la santé et les médiateur·ices sont en nombre insuffisant pour répondre aux besoins, de sorte que les personnes qui arrivent, après avoir voyagé sur des embarcations de fortune dans des conditions très difficiles, sont contraintes d’attendre parfois plusieurs heures au soleil pour obtenir une première prise en charge et un transfert dans des bus de la Croix-Rouge au hotspot de Contrada Imbriacola.

Ce sont les forces de l’ordre qui gèrent la situation à l’embarcadère de Favarolo. La Guardia di Finanza y a lancé une charge contre un groupe de personnes exilées. Les images qui y ont été filmées sont indignes.

Le seul centre d’accueil de Lampedusa a largement dépassé son seuil de saturation : plus de 6 000 personnes y sont présentes pour une capacité de 400 places.

Entre-temps, le seul centre d’accueil de Lampedusa a largement dépassé son seuil de saturation : plus de 6 000 personnes y sont présentes pour une capacité de 400 places, ce qui engendre une forte promiscuité entre hommes, femmes et personnes mineures. Pour tenter de remédier à la situation, des transferts sont organisés, y compris par des navires militaires, vers d’autres régions italiennes.

Les accords avec la Libye et la Tunisie sont cruels, coûteux et inefficaces 

La Libye et la Tunisie ont conclu avec l’Europe des accords portant sur les flux migratoires. En 2017, l’Italie et la Libye ont signé un mémorandum d’accord sur la coopération dans le domaine du développement, de la lutte contre l’immigration illégale, le trafic d’êtres humains et la contrebande et sur le renforcement de la sécurité aux frontières.

Ainsi, depuis six ans, l’Italie et l’Union européenne offrent des financements, des ressources et des formations aux garde-côtes libyens qui, en retour, interceptent les personnes exilées et les renvoient vers des lieux où elles subissent systématiquement des violations des droits humains, telles que des actes de torture, des violences et des viols. 

En juillet 2023, l’Union européenne a signé un accord similaire avec la Tunisie de Kaïs Saïed.

Depuis des mois, en Tunisie, les personnes originaires d’Afrique subsaharienne sont victimes de violences, d’agressions, d’expulsions sommaires, d’arrestations arbitraires et elles sont renvoyées dans le désert. 

Depuis le début de l’année, les autorités ont durci la répression contre toute forme d’opposition politique et incité à la discrimination contre les personnes exilées. Depuis des mois, en Tunisie, les personnes originaires d’Afrique subsaharienne sont victimes de violences, d’agressions, d’expulsions sommaires, d’arrestations arbitraires et elles sont renvoyées dans le désert. 

La route de la Méditerranée est de plus en plus meurtrière 

Dans le contexte actuel, des personnes continuent de mourir en mer. L’équipage du navire Nadir de l’ONG allemande Resqship rapporte les témoignages d’un groupe de naufragé·es secouru·es lors de leur traversée entre Sfax et Lampedusa.

Ces témoins ont fait état d’au moins 40 personnes noyées sous leurs yeux tandis que coulait l’embarcation en fer sur laquelle ils voyageaient.

Malgré la forte augmentation des départs, aucune opération européenne coordonnée de recherche et de sauvetage n’a encore été mise en place et l’intervention des ONG continue d’être entravée. 

L’attaque cynique du gouvernement contre les ONG 

Le gouvernement italien s’obstine à attaquer les ONG qui mènent des opérations de recherche et de sauvetage. Dernièrement, le navire Mare Jonio de l’ONG Mediterranea Saving Humans, le seul de la flotte de sauvetage civile battant pavillon italien, a été mis à l’arrêt et soumis à une inspection de plus d’une semaine, au terme de laquelle l’ONG a été sommée de « retirer du navire, avant le départ, le matériel et les fournitures embarqués à bord pour l’exécution du service de sauvetage ».

Un ordre « scandaleux et inacceptable, de même que la menace de conséquences pénales pour nos armateurs », a commenté Mediterranea, qui conteste la mesure. Selon l’ONG, par cette décision, les autorités cherchent un prétexte : le navire est en effet reconnu comme équipé pour l’activité de recherche et de sauvetage, et il est enregistré en tant que tel au Registre naval italien.

Et pourtant, « [le navire] ne répondrait pas aux critères de deux circulaires émises en décembre 2021 et février 2022, qui requièrent des caractéristiques techniques particulières en ce qui concerne la coque ». « Une affirmation absurde en soi », a souligné Mediterranea, ajoutant que « le gouvernement italien voudrait en faire la norme pour tous les pavillons européens, afin d’entraver l’ensemble de la flotte civile ». 

La dérive morale de l’Europe 

Au niveau européen, on constate des signes d’opposition à la perspective d’un engagement commun reposant sur le principe de la responsabilité partagée.

-> L’Allemagne a bloqué la procédure de sélection des personnes exilées arrivant d’Italie. Il s’agit du « mécanisme de solidarité », reposant entièrement sur le volontariat et insuffisant, par lequel les pays européens décident d’autoriser ou non le transfert de personnes exilées sur leur territoire.

La position allemande semble intervenir en réaction à la décision prise par l’Italie en décembre dernier de suspendre le mécanisme lié au règlement de Dublin, en refusant d’accueillir les personnes exilées qui ont déménagé en Allemagne après être entrées sur le territoire de l’Union européenne en Italie, et dont la demande d’asile au titre du règlement de Dublin doit être examinée par les autorités italiennes.

-> La France a également annoncé son intention de renforcer les contrôles entre Menton et Vintimille. Il s’agit d’une zone où la frontière est fermée et militarisée pour les personnes exilées depuis des années. 

Compte tenu des positions de Berlin et de Paris, la discussion relative au Pacte européen sur les migrations, prévue le 28 septembre, s’annonce difficile. Une ébauche du pacte a été présentée au mois de juin.

-> Les États membres semblent ne s’y être accordés que sur un point : l’abaissement des normes en matière de protection pour les personnes qui arrivent sur le sol européen. Le texte prévoit en effet la mise en place de mesures qui conduiront à des souffrances, dont notamment le maintien en détention, sur des périodes allant jusqu’à plusieurs mois, de personnes dans des centres fermés près des frontières et la possibilité de renvoyer des personnes en quête d’un refuge vers des pays considérés comme sûrs.

Face à la nécessité de repenser les politiques migratoires en vue de protéger les personnes et d’adhérer au principe de la responsabilité partagée, le Pacte européen risque, au contraire, de créer de plus grandes divisions entre les pays situés aux frontières extérieures de l’Union et les pays situés à l’intérieur, et il s’éloigne de plus en plus du concept de solidarité et de protection des droits.