© Gabriel Uchida

Confiscations de terres et COVID-19 : la double menace qui pèse sur les peuples indigènes du Brésil

Richard Pearshouse et Jurema Werneck   À travers le Brésil, de nombreux peuples indigènes s’isolent volontairement, barricadant les accès routiers afin de protéger leurs villages contre la pandémie de COVID-19. Comme l’a récemment déclaré à Amnesty International une infirmière indigène jointe par téléphone : « J’explique qu’il est important de ne pas quitter nos villages. Nous sommes plus de 400 personnes à vivre dans ce territoire indigène. Si une personne contracte le COVID-19, le virus peut tous nous contaminer. »   Les inquiétudes concernant la propagation du virus parmi les peuples indigènes sont vives, car cette semaine le premier cas a été confirmé parmi les populations indigènes du Brésil : dans l’État de l’Amazonas, une jeune femme Kokama âgée de 20 ans a été testée positive au coronavirus COVID-19.   Au Brésil, ces craintes remontent à fort longtemps. Des épidémies de maladies infectieuses ont plusieurs fois frappé les communautés indigènes, les conséquences étant aggravées par le faible niveau des services de santé fournis par le gouvernement. Amnesty International s’est récemment entretenue avec deux prestataires de soins de santé du Secrétariat spécial de la Santé indigène (SESAI), au Brésil. Ce qu’ils ont décrit ne présage rien de bon pour les semaines et les mois à venir : le manque d’équipements de protection et de désinfectants pour les mains parmi les professionnels de santé du SESAI, et la pénurie générale de personnel due au budget du SESAI réduit à une peau de chagrin depuis des années. Cette situation inquiétante a amené l’Assemblée des peuples indigènes du Brésil–APIB à demander au gouvernement la mise en place d’un Plan d’action d’urgence.   Tandis que la pandémie de COVID-19 menace la santé des peuples indigènes dans la région amazonienne au Brésil, les pressions sur leurs terres ancestrales ne fléchissent pas, bien au contraire, les grileiros (personnes qui accaparent des terres illégalement) flairant l’occasion de profiter de la crise. Alors que c’est la saison des pluies en Amazonie, qui dure à peu près d’octobre à mai, de nombreux grileiros sont actifs, délimitant des parcelles et taillant des chemins d’accès à travers la jungle.   Déjà, avant le COVID-19, les pressions sur la forêt amazonienne au Brésil se faisaient de plus en plus fortes. En s’appuyant sur une surveillance satellite de la déforestation, l’Institut national pour la recherche spatiale (INPE), au Brésil, a constaté la perte de 469 km² dans la région amazonienne au cours des deux premiers mois de 2020 – soit une hausse de 71,2 % par rapport à la même période en 2019.   L’un des effets inévitables du « confinement » volontaire des villages indigènes est la réduction de leur capacité à patrouiller leurs territoires. Selon un leader indigène Manoki, dans l’État de Mato Grosso, les patrouilles menées conjointement avec l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (IBAMA) en février 2020 ont permis de découvrir de nouveaux sentiers sur leur territoire et des panneaux récemment mis en place par les grileiros afin de délimiter de nouvelles parcelles de terrain. Il a ajouté : « Nous avons dû suspendre notre surveillance. Nous avions une inspection prévue en avril, mais nous l’avons annulée. »   Le décret classant la protection environnementale parmi les « services essentiels » durant la pandémie n’existe que sur le papier. Dans la pratique, au vu de la situation actuelle, les autorités environnementales disposent de capacités réduites pour mettre en œuvre leur rôle consistant à faire respecter la loi. Un agent de la FUNAI (Fondation nationale de l’Indien, organisme fédéral chargé de la démarcation des terres et autres questions liées aux peuples indigènes), dans l’État du Pará, s’est entretenu avec Amnesty International sous couvert d’anonymat et a déclaré qu’au moins une base de protection majeure dans la région d’Altamira avait réduit ses effectifs à deux personnes au lieu de quatre habituellement.   Selon une récente estimation publiée par Reuters, environ un tiers des agents de terrain de l’IBAMA n’iront pas sur le terrain, parce qu’ils ont plus de 60 ans ou souffrent de maladies préexistantes qui les exposent à un risque accru s’ils contractent le virus. Le personnel d’inspection se heurte également à des difficultés d’ordre logistique du fait du nombre restreint de vols et de la fermeture des hôtels et des restaurants.   Ces obstacles prolongent une année au cours de laquelle le gouvernement de Jair Bolsonaro a fragilisé le système d’inspection et de surveillance des zones protégées. Des postes clés ont par exemple fait l’objet de changements : un cas particulièrement inquiétant est la récente nomination d’un ancien missionnaire à la tête du département des tribus isolées et récemment contactées de la FUNAI.   En 2019, les budgets ont été considérablement réduits et les patrouilles limitées. Le nombre d’amendes liées à l’environnement perçues par l’IBAMA en 2019 a chuté de 34 % par rapport à 2018. Parallèlement, comme l’a relevé Amnesty International en novembre 2019, des éleveurs de bétail et des grileiros ont redoublé d’efforts pour s’emparer illégalement de terres protégées afin d’y faire paître le bétail.   Les quelques représentants du gouvernement qui demeurent en première ligne sont extrêmement inquiets. L’agent environnemental responsable d’un parc national dans l’État de Rondônia qui s’est entretenu avec Amnesty International sous couvert d’anonymat a déclaré avoir reçu des informations selon lesquelles « des intrus ont l’intention de profiter de la situation (de la pandémie de COVID-19) pour opérer de nouvelles intrusions cette semaine. » Un autre agent de la FUNAI qui s’occupe d’un territoire indigène dans l’État de Rondônia a indiqué : « Le crime organisé va profiter de la fragilité de l’État durant la pandémie pour attaquer et détruire des zones protégées. »   La pandémie de COVID-19 – et le ralentissement économique qui devrait suivre – impose au gouvernement brésilien de faire plus, et non moins, pour protéger les peuples indigènes et l’Amazonie. Le Brésil doit veiller à ce que ces communautés aient accès, au même titre que le reste de la population, à des soins de santé et à des mesures de protection dans le cadre de cette pandémie.   De toute urgence, le Brésil doit intensifier la surveillance et les patrouilles dans les territoires indigènes et les zones protégées d’un point de vue environnemental dans la région amazonienne, tout en prenant toutes les mesures nécessaires afin d’assurer la sécurité des agents du gouvernement. Dans les mois à venir, il doit renforcer les agences de protection des peuples indigènes et de l’environnement, notamment en leur allouant des ressources financières et humaines. Les autorités brésiliennes doivent veiller au grain : la crise sanitaire actuelle ne doit pas être l’occasion pour les grileiros de détruire la forêt amazonienne.   Richard Pearshouse, principal conseiller d’Amnesty International pour les situations de crise et l’environnement.   Jurema Werneck, directrice exécutive d’Amnesty International Brésil

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