Edit: This picture taken on November 27, 2020 shows destroyed buildings in the town of Aghdam. - The territory is due to be returned to Baku as stipulated in a Moscow-brokered peace deal signed by Armenia and Azerbaijan on November 9, 2020. As part of the deal, Armenia and Nagorno-Karabakh must return the Aghdam, Kalbajar and Lachin districts to Azerbaijan starting on November 20, 2020 with a completion deadline of December 1, 2020. (Photo by STRINGER / AFP) (Photo by STRINGER/AFP via Getty Images) Edit: This picture taken on November 27, 2020 shows destroyed buildings in the town of Aghdam. - The territory is due to be returned to Baku as stipulated in a Moscow-brokered peace deal signed by Armenia and Azerbaijan on November 9, 2020. As part of the deal, Armenia and Nagorno-Karabakh must return the Aghdam, Kalbajar and Lachin districts to Azerbaijan starting on November 20, 2020 with a completion deadline of December 1, 2020. (Photo by STRINGER / AFP) (Photo by STRINGER/AFP via Getty Images)

Azerbaïdjan. Le blocus du corridor de Latchine, qui met des milliers de vies en péril, doit être levé 

  • Le blocus compromet gravement l’accès aux soins de santé dans le Haut-Karabakh
  • Les pénuries de denrées alimentaires et de carburant exacerbent le coût du blocus pour les droits humains
  • L’Azerbaïdjan manque à ses obligations relatives aux droits humains en ne prenant aucune mesure afin de lever le blocus

Le blocus du corridor de Latchine met en danger la vie de milliers de personnes dans la région séparatiste du Haut-Karabakh, a déclaré Amnesty International le 9 février 2023. Elle demande aux autorités azerbaïdjanaises et aux Casques bleus russes de débloquer immédiatement cette route et de mettre fin à la crise humanitaire en cours.

Cette route, qui relie le Haut-Karabakh à l’Arménie, est inaccessible à tout trafic civil et commercial depuis le 12 décembre 2022, après avoir été bloquée par des dizaines de manifestant·e·s azerbaïdjanais, qui seraient selon toute probabilité soutenus par les autorités du pays. En raison de cette situation, quelque 120 000 habitant·e·s d’origine arménienne du Haut-Karabakh n’ont plus accès aux biens et services essentiels, notamment aux médicaments et aux soins vitaux.

Les entretiens menés avec des professionnel·le·s de santé et des habitant·e·s de la région ont révélé l’impact particulièrement dur de ce blocus sur les groupes à risque, notamment les femmes, les personnes âgées et les personnes porteuses de handicaps.

« Le blocus se traduit par de graves pénuries de denrées alimentaires et de fournitures médicales, car l’aide humanitaire livrée par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et les soldats russes de maintien de la paix ne suffit pas à répondre aux besoins. Les coupures d’électricité, les interruptions d’approvisionnement en gaz naturel et en carburant automobile viennent s’ajouter à des difficultés déjà extrêmes, particulièrement pour les groupes exposés à la discrimination et à la marginalisation. Il faut y mettre un terme, a déclaré Marie Struthers, directrice pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale à Amnesty International.

« Les autorités azerbaïdjanaises exercent une souveraineté internationalement reconnue sur ces territoires et un contrôle sur le territoire depuis lequel le blocus est mis en place. L’Azerbaïdjan est donc tenu de s’efforcer de garantir que la population du Haut-Karabakh puisse avoir accès aux denrées alimentaires et à d’autres biens et médicaments essentiels. De son côté, la mission russe de maintien de la paix a pour mandat d’assurer la sécurité du corridor de Latchine. Toutefois, les deux parties manquent de toute évidence à leurs obligations. »

Selon les responsables de facto du Haut-Karabakh, depuis le début du blocus, le nombre de véhicules arrivant dans la région est passé de 1 200 par jour à cinq ou six camions appartenant à la mission russe de maintien de la paix et au CICR. 

Pénuries de médicaments et problèmes pour accéder aux soins de santé

L’accès aux soins de santé est devenu le problème le plus pressant dans la région sous blocus, du fait de la pénurie de médicaments et de matériel médical, ainsi que du manque de carburant pour se rendre auprès des patients et permettre les soins ambulatoires. La situation est particulièrement tendue pour les personnes âgées ou porteuses de handicaps, dont beaucoup souffrent de maladies chroniques et pour qui l’accès aux services de santé est très limité, voire totalement interrompu.

Vardan Lalayan, cardiologue à l’hôpital de Stepanakert/Khankendi, voyait entre 30 et 40 patient·e·s par mois – presque tous des personnes âgées – avant le blocus. Aujourd’hui, il n’en voit plus que cinq ou six par mois, généralement ceux qui ont besoin de soins spécialisés après une crise cardiaque. Il a expliqué que la plupart des personnes ayant besoin de contrôles pour la pose d’un stent ne peuvent pas recevoir les soins dont elles ont besoin, du fait des difficultés d’approvisionnement en stents et autres fournitures médicales.

« Nous effectuons 10 % des opérations actuellement. Nous n’avons tout simplement pas assez de stents. […] Nous allons avoir un très grand [nombre de] crises cardiaques. Chaque jour, nous perdons beaucoup de gens, de nombreux patient·e·s », a-t-il déploré.

Biayna Sukhudyan, neurologue, a déclaré : « Il y a une semaine, nous avons admis un enfant [souffrant d’épilepsie] qui avait besoin d’un médicament de toute urgence, et nous ne l’avions pas, et personne n’en avait, les stocks étaient vides. […] Au bout d’une semaine, au terme de négociations avec la Croix-Rouge, l’enfant a pu être envoyé à Erevan pour être pris en charge. »

Selon Vardan Lalayan, le CICR transfère uniquement les patient·e·s dont l’état est « stable » vers des établissements situés en dehors de la région, où des soins peuvent être disponibles. Certains patient·e·s dans un état critique dans son hôpital ont dû rester dans un centre où les soins appropriés n’étaient pas dispensés, entraînant plusieurs décès qui auraient pu être évités. En outre, beaucoup se montrent réticents à bénéficier d’un transfert, car cela veut souvent dire qu’ils doivent être séparés de leur famille pour une période prolongée et incertaine, sans garantie de retour.

Par ailleurs, la santé des femmes et la santé maternelle sont gravement menacées par la pénurie de fournitures médicales.

Meline Petrosyan, enceinte de huit mois, originaire de la ville de Martakert/Aghdere, a déclaré : « La maternité était bondée, mais les médicaments, produits d’hygiène et produits de base pour bébés, couches et lait maternisé manquaient. La chambre d’hôpital était souvent froide à cause des coupures d’électricité. Ils ne pouvaient faire fonctionner qu’une seule couveuse et trois bébés prématurés devaient l’utiliser à tour de rôle. Quand je pense à toutes les incertitudes liées à l’accouchement dans ces conditions, je suis terrifiée. »

D’après des professionnel·le·s de santé, des personnes âgées et des personnes porteuses de handicaps, il est devenu très difficile voire impossible de se procurer les médicaments prescrits en cas de maladies chroniques, notamment pour l’hypertension, les troubles cardiaques, l’épilepsie et l’asthme, ainsi que les analgésiques et les antibiotiques, car de nombreuses pharmacies du Haut-Karabakh ont totalement fermé. Lorsqu’ils parviennent à trouver des médicaments, ceux-ci sont nettement plus chers du fait du blocus, ce qui contraint à réduire leur utilisation.

Pénuries de denrées alimentaires et de carburant 

Le blocus a provoqué une pénurie alimentaire, qui a conduit les autorités de facto à mettre en place un système de rationnement début janvier. Selon un habitant : « Chaque personne peut obtenir un demi-kilo de riz, de pâtes et un litre d’huile et un peu de sucre », ce qui limite les produits à un kilo ou un litre par mois et par personne, quel que soit l’âge. Les personnes interrogées ont déclaré que si ces efforts ont permis d’éviter la flambée des prix des produits alimentaires de première nécessité, les légumes et les fruits frais ont complètement disparu des rayons des magasins, tandis que de longues files d’attente se forment pour le lait et les œufs lorsqu’il y en a.

Il est ressorti des entretiens menés avec des habitant·e·s que les femmes se privent généralement de nourriture pour la donner aux autres membres de la famille. Les professionnel·le·s de santé interrogés ont noté une hausse significative des cas d’immunodéficience, d’anémie, d’affections thyroïdiennes et d’aggravation du diabète chez les femmes et les enfants, conséquence directe des pénuries alimentaires.

Nara Karapetyan, mère de deux enfants, a ainsi déclaré : « Nous n’avons plus de fruits ni de légumes depuis plus d’un mois maintenant. Dès que j’arrive à me procurer des aliments, quels qu’ils soient, je m’assure que mes enfants en mangent d’abord, et je me contente de ce qui reste. »

Selon plusieurs professionnel·le·s de santé dans le Haut-Karabakh, les femmes enceintes présentent de plus en plus de complications et le nombre de fausses couches et de naissances prématurées a augmenté, car les futures mères ne peuvent pas se procurer des médicaments vitaux ni des nutriments nécessaires pendant la grossesse.

Les personnes porteuses de handicaps, notamment à mobilité réduite, souffrent davantage de l’isolement pendant le blocus, car elles ne peuvent utiliser ni les transports publics ni les transports privés en raison de la pénurie de carburant. Yakov Altunyan, qui se déplace en fauteuil roulant depuis qu’il a été amputé des deux jambes après avoir marché sur une mine dans les années 1990, est de fait bloqué dans son appartement. « Depuis que j’ai été blessé, j’essaie toujours de sortir et de voir du monde, car pour moi, rester entre ces quatre murs, c’est comme être en prison. […] Ne pas pouvoir conduire, communiquer ni avoir des contacts avec les autres me rend la vie très difficile », a-t-il déclaré à Amnesty International.

Une crise humanitaire qui s’aggrave

Le blocus a d’autres conséquences désastreuses, notamment la violation du droit à l’éducation. Toutes les écoles et les crèches, fréquentées par 27 000 enfants, sont temporairement fermées en raison de l’absence de chauffage et des coupures d’électricité. Si les écoles ont partiellement rouvert le 30 janvier, les cours ne sont donnés que quatre heures par jour.

Depuis le début du blocus, 1 100 habitant·e·s du Haut-Karabakh, dont au moins 270 enfants, se sont retrouvés bloqués en dehors de la région et dans l’impossibilité de rentrer chez eux. Ils sont hébergés dans des hôtels ou chez des parents et des bénévoles en Arménie. À la pénurie de gaz et d’essence s’ajoutent les fréquentes interruptions d’approvisionnement en gaz en provenance d’Azerbaïdjan et les coupures d’électricité qui durent en moyenne six heures par jour.

« Alors que le blocus en est à sa neuvième semaine, tous les regards se tournent vers les autorités azerbaïdjanaises et les Casques bleus russes. Nous appelons les deux parties à prendre immédiatement des mesures efficaces, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains, afin de lever le blocus du corridor de Latchine sans plus attendre et de mettre fin à la crise humanitaire », a déclaré Marie Struthers. 

Complément d’information

Amnesty International a réalisé 16 entretiens téléphoniques avec des responsables des autorités de facto, des professionnel·le·s de santé et des habitant·e·s, dont des personnes âgées ou porteuses de handicaps, du Haut-Karabakh, une région séparatiste de l’Azerbaïdjan majoritairement peuplée d’Arméniens, qui a proclamé son indépendance en tant que République d’Artsakh en 1991.

En septembre 2020, une guerre totale a éclaté entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie au sujet du territoire du Haut-Karabakh et les deux parties au conflit ont commis des violations du droit international humanitaire, notamment des crimes de guerre. À la suite d’un accord tripartite conclu le 10 novembre 2020 avec le soutien de la Russie, l’Azerbaïdjan a repris le contrôle de vastes zones de la république autoproclamée, réussissant à couper ses liaisons avec l’Arménie. Selon les termes de l’accord de cessez-le-feu, le corridor dit de Latchine est la seule route reliant le Haut-Karabakh à l’Arménie, dont la sécurité devait être assurée par le contingent russe de maintien de la paix. 

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