Alors qu’on assiste à une multiplication des cas de COVID-19 en Asie du Sud, l’une des régions les plus peuplées et les plus pauvres au monde, Amnesty International appelle les autorités des pays de cette région à placer les droits humains au cœur de l’action qu’elles engagent et de redoubler d’efforts en vue de protéger les groupes vulnérables et marginalisés qui risquent davantage d’être exposés, et notamment les personnes travaillant à la journée, les personnes déplacées par un conflit, les professionnel·le·s de la santé et les personnes incarcérées.
La pandémie de COVID-19 est sur le point de provoquer plusieurs milliers de cas d’infection en Asie du Sud où, durant la semaine du 23 mars, les gouvernements de différents pays ont imposé des mesures strictes de confinement et de couvre-feu, craignant que le virus ne touche des zones densément peuplées, ne vienne surcharger des structures de soins totalement inadaptées, et ne détruise les moyens de subsistance de cette région où l’on dénombre déjà 600 millions de personnes pauvres.
Le 25 mars, le Pakistan recensait 1 026 contaminations et sept décès pour le moment, tandis que l’Inde arrivait en deuxième position dans la région, avec 606 contaminations et 10 décès. Ces chiffres connaissent chaque jour une hausse exponentielle et sont probablement nettement plus élevés du fait de la rareté des dépistages.
« Face à la montée en flèche du nombre de cas de COVID-19 en Asie du Sud, les dirigeants de la région doivent porter une attention particulière aux populations les plus vulnérables et marginalisées dans cette crise. Il faut qu’ils protègent les travailleurs et travailleuses pour qui rester chez eux est synonyme de perte de leurs moyens de subsistance, les personnes qui ont perdu leur maison dans un conflit et croupissent désormais dans des camps surpeuplés, les personnes détenues, entassées dans une même cellule et, surtout, les médecins, les infirmières et les infirmiers qui n’ont jamais eu les ressources dont ils avaient besoin et qui mettent aujourd’hui leur propre santé en danger pour sauver les autres », a déclaré Biraj Patnaik, directeur pour l’Asie du Sud à Amnesty International.
Accès à l’information
La crise du COVID-19 en Asie du Sud a été exacerbée par le fait que les autorités de la région n’ont pas fourni d’informations exactes, scientifiquement fondées et facilement accessibles sur le virus, ni expliqué aux populations comment se protéger et quelles étaient les mesures qu’elles prenaient pour leur venir en aide.
Dans plusieurs pays de la région, de hauts responsables ont ces dernières semaines minimisé la crise, dissimulé des informations au sujet de l’ampleur réelle de celle-ci ou, dans les cas les plus graves, relayé de fausses informations sur ses effets – sapant ainsi l’efficacité de toute action de santé publique et risquant de porter atteinte au droit à la santé des personnes.
Les populations des zones rurales, où le taux d’alphabétisation est faible et l’accès aux soins de santé extrêmement limité, subissent tout particulièrement les conséquences du manque d’informations fiables au sujet du COVID-19.
En Afghanistan, il a fallu du temps avant que l’information ne parvienne aux zones reculées ou touchées par le conflit en cours. Dans ce pays, l’accès aux soins est généralement limité, le dépistage y étant peu pratiqué, et les femmes et les filles qui vivent dans des régions isolées risquent d’être exclues de l’action menée pour lutter contre le virus, en particulier dans celles où les traditions locales néfastes leur interdisent l’accès à la santé.
Au Bangladesh, dans le district de Cox’s Bazar, ou a été recensé le premier cas de COVID-19 cette semaine, des rumeurs inquiétantes selon lesquelles les autorités mettraient à mort toute personne contractant la maladie ont commencé à circuler dans les camps de réfugié·e·s rohingyas, car personne ne leur a communiqué d’informations exactes au sujet du virus. Ces camps font en effet l’objet d’une mesure de blocage des télécommunications.
« Les États sont tenus de fournir des informations au sujet du COVID-19 qui sont exactes et scientifiquement fondées, de relayer ces informations dans des langues comprises par les gens et via des moyens de communication facilement accessibles. Il convient en parallèle d’engager une démarche concertée en vue de combattre les fausses informations sur le virus qui sont potentiellement dangereuses, et de protéger les populations marginalisées contre la stigmatisation », a déclaré Biraj Patnaik.
Les personnes réfugiées ou déplacées
Les autorités des pays d’Asie du Sud ont des responsabilités à l’égard de leurs citoyens et citoyennes, mais également de toutes les personnes se trouvant sur leur territoire, y compris les personnes réfugiées et demandeuses d’asile.
La région accueille l’une des plus importantes populations réfugiées au monde, avec notamment trois millions de réfugié·e·s afghans enregistrés ou non au Pakistan et plus d’un million de réfugié·e·s rohingyas au Bangladesh.
Le conflit qui sévit actuellement en Afghanistan a entraîné le déplacement de plus de deux millions de personnes dans le pays, qui continue d’accueillir plusieurs milliers de personnes renvoyées contre leur gré depuis d’autres pays, y compris l’Iran voisine.
Les mesures de distanciation sociale ne sont pas envisageables dans les camps de Rohingyas au Bangladesh, à l’image de celui de Kutupalong où les tentes sont serrées les unes contre les autres. Leurs habitants doivent traverser tout le camp pour avoir accès aux services élémentaires. Les structures médicales y sont limitées, et il n’existe pas de services d’urgence à proximité.
« Nous devrions avoir des solutions hydroalcooliques, du savon et des masques pour rester propres et en bonne santé. Or, depuis que l’épidémie s’est déclarée, ce matériel ne nous a jamais été distribué », a déclaré Yassin Abdumonab, un jeune Rohingya vivant dans le district de Cox’s Bazar, à Amnesty International.
En Afghanistan, les personnes déplacées dans le pays sont disséminées dans plusieurs camps, souvent installés dans des zones difficilement accessibles, sans accès depuis des années aux structures de soins les plus élémentaires. Seuls des postes de santé itinérants sont disponibles de façon ponctuelle, et les gens sont contraints de parcourir de longues distances pour aller chercher de l’eau et de la nourriture.
Les femmes et les filles vivant dans les camps afghans de personnes déplacées ont un accès extrêmement limité aux structures sanitaires. Quant à celles qui vivent dans les camps de Rohingyas au Bangladesh, il leur est difficile de se procurer des médicaments.
« Pour les personnes déplacées par un conflit, la distanciation sociale n’est pas envisageable, les soins de santé sont difficilement accessibles, et chaque jour est un combat pour se procurer les produits de première nécessité. Les États ont l’obligation, d’une part, de tenir compte de ces personnes dans les mesures qu’ils prennent pour gérer la crise du COVID-19 et, d’autre part, de répondre à leurs besoins particuliers », a déclaré Biraj Patnaik.
Les personnes travaillant à la journée
La grande majorité des travailleurs et travailleuses d’Asie du Sud dépendent de l’économie informelle pour vivre, et sont souvent payés à la journée. Selon l’Organisation internationale du travail, le secteur informel représente 80 % de l’emploi dans cette région.
Il couvre notamment les vendeurs et vendeuses de rue, les balayeurs et autres employé·e·s des services d’assainissement, les conducteurs, les personnes travaillant dans le bâtiment, les femmes de ménage, les ouvriers et ouvrières dans les plantations de thé, les pêcheurs, les porteurs, les cuisiniers et cuisinières, ainsi que les employé·e·s de maison, dont beaucoup sont des travailleuses et travailleurs migrants qui vivent loin de leur famille.
L’entrée en vigueur des mesures de confinement signifie que ces personnes vont être privées de leurs moyens de subsistance. Dans une région où les revenus sont faibles et les régimes de sécurité sociale limités, la couverture sociale qui leur est offerte en cas de besoin est médiocre, voire inexistante dans de nombreux cas. Au Sri Lanka, après qu’a été annoncée l’imposition d’un couvre-feu, on a vu se former la semaine du 16 mars des files d’attente devant les boutiques de prêt sur gages, ce qui a mis en évidence la situation extrêmement difficile dans laquelle se trouve déjà la population.
Certains pays d’Asie du Sud, dont l’Inde, le Pakistan et le Sri Lanka, ont annoncé cette semaine des mesures de relance économique, mais celles-ci ciblent principalement les entreprises. Il faut que soient prises des mesures s’adressant directement aux personnes qui travaillent dans le secteur informel, conformément au droit à la sécurité sociale, pour leur permettre de jouir de leur droit à un niveau de vie suffisant.
« Personne ne devrait avoir à choisir entre mourir de faim à la maison et prendre le risque d’être contaminé en sortant travailler. Les économies d’Asie du Sud sont tributaires du labeur journalier de travailleurs et travailleuses contraints de gagner leur vie dans des conditions précaires et souvent inadéquates. Les États doivent dans la mesure du possible protéger les moyens de subsistance de ces personnes pendant cette crise. La solidarité internationale sera nécessaire à long terme pour un rétablissement de la région : il s’agit d’une pandémie mondiale qui appelle une solution mondiale », a déclaré Biraj Patnaik.
Les professionnel·le·s de la santé
D’après la Banque mondiale, les huit pays d’Asie du Sud figurent parmi les pays affichant les densités les plus faibles de médecins. Les chiffres varient entre 0,3 médecin pour 1 000 habitants (Afghanistan) à seulement un médecin pour 1 000 habitants (Maldives, Pakistan et Sri Lanka). Dans le meilleur des cas, on observe un nombre trop faible de soignant·e·s exerçant leur activité avec des ressources trop limitées.
En Afghanistan, au Bangladesh, en Inde, au Népal et au Pakistan, les professionnel·le·s de la santé s’inquiètent déjà du manque d’équipements de protection individuelle mis à leur disposition pour soigner les patients atteints du COVID-19.
Au Bangladesh, 10 médecins présentent déjà les symptômes de la maladie et ont été confinés. Au Pakistan, un médecin du Gilgit-Baltistan est décédé la semaine dernière. « Il est suicidaire de soigner les patients sans protection », a déclaré Asfandyar Khan, président de l’Institut pakistanais des sciences médicales lors d’une conférence de presse tenue à Islamabad, ajoutant que les médecins se mettraient en grève si on ne leur fournissait pas le matériel de protection dont ils ont besoin.
La charge supportée par les professionnel·le·s de la santé et les autres personnes œuvrant au fonctionnement des structures de soins – qui sont en première ligne face à la crise, courent un risque très élevé de contamination, ne comptent pas leurs heures et risquent de souffrir de détresse psychologique et d’épuisement –, va normalement s’accroître parallèlement à la hausse du nombre de personnes atteintes du COVID-19. Ils ont aussi à protéger leur famille de l’exposition au virus tout en aidant les patient·e·s infectés à guérir.
« Les soignant·e·s qui sont en première ligne sont les héros dont nous dépendons pendant cette crise. Ils donnent la priorité à la santé des autres, en mettant en danger la leur. Ils doivent pour le moins se voir offrir le matériel de protection dont ils ont besoin. Les États ont l’obligation de veiller à ce que ces hommes et ces femmes soient protégés, par le biais notamment d’une formation appropriée et d’une prise en charge psychosociale tant pour eux-mêmes que pour leur famille », a déclaré Biraj Patnaik.
Les personnes incarcérées
La surpopulation des prisons d’Asie du Sud est notoire. Le Bangladesh compte plus du double de détenu·e·s que la capacité d’accueil de ses prisons, et plus de 70 % de la population carcérale du pays est en attente de jugement. Au Népal, le taux d’occupation des établissements pénitentiaires est supérieur à 150 %, certains comptant trois fois plus de prisonniers et prisonnières que leur capacité d’accueil initiale.
Les personnes incarcérées sont souvent soumises à des conditions inhumaines (aération médiocre et mauvaises conditions sanitaires notamment), qui mettent leur santé en danger. Un peu plus tôt dans l’année, une commission d’enquête pakistanaise a dénoncé l’accès limité aux soins de santé dans les établissements pénitentiaires, faisant état de 1 823 détenus souffrant d’une hépatite, 425 du VIH et 173 de la tuberculose – l’ensemble de ces personnes ayant contracté ces maladies en prison.
Au Sri Lanka, deux prisonniers ont été tués et plusieurs autres blessés par des gardiens la semaine du 16 mars, quand a éclaté un mouvement de contestation lié au COVID-19 dans la prison d’Anuradhapura. Le Pakistan a déclaré cette semaine avoir détecté son premier cas positif de COVID-19 en prison, à Camp Jail Lahore, où le nombre de personnes détenues est près de trois fois supérieur à la capacité d’accueil de l’établissement, la majorité d’entre elles étant en attente de jugement.
Au regard du droit international relatif aux droits humains et des normes en la matière, les autorités doivent faire en sorte que les personnes détenues aient rapidement accès à des soins médicaux, d’une qualité égale à ceux prodigués au reste de la société, y compris lorsqu’il s’agit de dépister les personnes atteintes du COVID-19, de les soigner et de prévenir la contamination.
Certains pays d’Asie du Sud, parmi lesquels le Bangladesh, l’Inde, le Népal, le Pakistan et le Sri Lanka, ont adopté des mesures encourageantes visant à relâcher certaines personnes incarcérées, mais ces mesures n’ont pas encore été mises en œuvre ou n’ont pas été appliquées partout.
« Les prisons d’Asie du Sud sont un poids qui pèse sur la conscience de la région. Elles sont connues pour leur surpopulation, la violence qui y règne, leurs mauvaises conditions sanitaires et le manque de soins de santé, autant d’éléments qui font courir un risque élevé d’infection aux détenus. Il faut de toute urgence que des efforts soient faits pour réduire la surpopulation carcérale ; il convient notamment d’envisager de relâcher les personnes détenues les plus âgées et celles qui sont susceptibles de prétendre à une libération conditionnelle anticipée et qui ne constituent plus une menace pour la sécurité publique. Il devrait également y avoir une présomption en faveur de la libération pour les personnes inculpées d’une infraction pénale qui n’ont pas encore été jugées. Celles qui ne sont pas remises en liberté doivent se voir offrir la même qualité de soins médicaux que le reste de la population, et notamment être hospitalisées dans des établissements médicaux si leur état de santé nécessite des soins spécialisés », a déclaré Biraj Patnaik.