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Arabie saoudite. Les migrants ayant travaillé sur le chantier du métro de Riyad ont été soumis à une décennie de violations dévastatrices

Des migrants s’étant rendus en Arabie saoudite pour travailler sur le chantier du métro de Riyad ont été forcés à payer des frais de recrutement exorbitants, ont travaillé par des températures dangereusement élevées et ont perçu des salaires pitoyables pendant une décennie caractérisée par les abus, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public mardi 18 novembre.

Ce rapport, intitulé Dix ans d’exploitation sur le chantier du métro de Riyad, recense des atteintes aux droits des travailleurs sur un des projets d’infrastructure phares en Arabie saoudite. Présenté comme le « pilier » du système de transport public de Riyad, le métro récemment inauguré a été construit par des entreprises internationales et saoudiennes de renom sous l’égide du gouvernement, et son expansion est en projet. Un grand nombre des travailleurs dont Amnesty International a recueilli les propos se sont cependant vu facturer des frais illégaux afin de trouver du travail, puis ont dû endurer de longues heures de labeur dans des conditions parfois dangereuses pour un salaire minime et discriminatoire.

« Le métro de Riyad est considéré comme le pilier du système de transport de la capitale. Pourtant, son apparence élégante cache une décennie d’abus permis par un cadre de travail qui sacrifie les droits fondamentaux des travailleurs migrants. Croulant déjà sous des frais de recrutements exorbitants, ces travailleurs ont enduré de longues journées de labeur pour un maigre salaire », a déclaré Marta Schaaf, directrice du programme Climat, justice sociale et économique et responsabilité des entreprises à Amnesty International.

« À ces épreuves vient s’ajouter l’exposition à une chaleur extrême dans un pays où les températures ne cessent d’augmenter en raison du changement climatique induit par les activités humaines. Le fait que ces abus aient persisté pendant des années à travers de multiples entreprises sur un chantier d’infrastructure phare souligne que le gouvernement a échoué de manière flagrante à faire respecter les garanties de protection et à démanteler un système exposant des travailleurs à un risque élevé d’exploitation. »

Exploités avant même de quitter leur pays d’origine

Amnesty International a parlé avec 38 hommes originaires du Bangladesh, d’Inde et du Népal, qui ont été employés par diverses entreprises étrangères et saoudiennes – notamment de grandes entreprises de construction, des sous-traitants et des sociétés extérieures de fourniture de main-d’œuvre – pour bâtir le système de métro de Riyad entre 2014 et 2025. Pour la quasi-totalité d’entre eux, les abus ont commencé avant même qu’ils n’arrivent à Riyad, lorsqu’il leur a été demandé de payer entre 700 et 3 500 dollars des États-Unis en frais de recrutement et coûts associés à des agents dans leur pays d’origine, obligeant nombre d’entre eux à s’endetter fortement et exacerbant le risque d’abus supplémentaires.

Souvent, ces montants étaient bien supérieurs aux limites imposées par leur gouvernement et étaient réclamés à ces hommes malgré l’interdiction, prévue dans la législation saoudienne, de demander aux travailleuses et travailleurs de verser des frais de recrutement.

Suman, originaire du Népal, a été forcé à vendre de l’or emprunté à la famille de sa femme, afin de pouvoir payer des frais excessifs en relation avec un emploi offrant un salaire de base d’un montant de 266 dollars mensuels.

« J’ai payé 100 000 roupies (700 dollars des États-Unis) à l’agent de recrutement. Mais pendant les préparatifs – voyage, visites médicales et autres formalités –, j’ai dépensé un total de 200 000 roupies (1 400 dollars). Je n’avais pas d’argent avec moi à ce moment-là […]. J’ai emprunté de l’or aux parents de ma femme, je l’ai vendu et j’ai reçu de l’argent liquide […]. Comme le prix de l’or a augmenté, j’ai dû rembourser presque le double de ce que j’ai obtenu. Il m’a fallu six mois pour rembourser les prêts. »

Violations en tous genres en Arabie saoudite

Une fois en Arabie saoudite, un grand nombre d’entre eux étaient payés moins de 2 dollars des États-Unis par heure, tandis que d’autres gagnaient à peine la moitié de cette somme en tant que manœuvres, agents d’entretien ou travailleurs auxiliaires sur le chantier du métro de Riyad. Presque tous travaillaient plus de 60 heures par semaine. Si la plupart des travailleurs ont déclaré ne pas avoir été directement forcés à faire des heures supplémentaires, leurs salaires de base étaient en réalité si faibles qu’ils avaient l’impression de ne pas avoir d’autre choix. Le fait que le gouvernement n’ait pas fixé de salaire décent universel consacre les salaires de misère pour les travailleurs migrants – dont la plupart sont racisés -, privant ainsi beaucoup d’entre eux d’un niveau de vie décent.

« En raison de l’inflation au Népal, ce salaire est trop faible pour couvrir les dépenses domestiques. Il part en fumée dès que je paye les frais pour l’éducation de mes enfants et d’autres dépenses. Mais qu’est-ce que je peux faire ? Je dois joindre les deux bouts », a déclaré Nabin à Amnesty International.

Souvent, la chaleur implacable rendait plus difficiles encore les longues journées de travail sur le chantier du métro de Riyad, certains comparant la situation à être « en enfer ». Étant donné que les températures s’élèvent à au moins 40 °C pendant plus de huit heures chaque jour durant les mois d’été, l’interdiction prononcée par le gouvernement sur le travail en extérieur en plein soleil de midi à 15 heures s’est avérée totalement inadaptée pour protéger les travailleurs. Et l’augmentation des températures devrait se poursuivre, l’Arabie saoudite étant confrontée à des chaleurs fréquentes et croissantes, une tendance appelée à s’aggraver, compte tenu du changement climatique planétaire causé par les activités humaines.

« Quand je travaille par une chaleur extrême, j’ai l’impression d’être en enfer. […]. Je me demande comment je me suis retrouvé là. Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal pour que

Dieu me punisse ? », a déclaré Indra, du Népal. « Personne ne veut travailler dans de telles conditions par choix. Mais qu’est-ce que je peux faire ? Je n’avais pas de travail au Népal. Je suis venu ici pour soutenir ma famille. C’est pourquoi je dois être prêt à souffrir. »

Janak, venu d’Inde, a déclaré que des supérieurs hiérarchiques, au sein de l’entreprise de sous-traitance qui l’employait, avaient fait pression sur lui pour qu’il travaille par des températures extrêmes.

« Les contremaîtres et les ingénieurs nous forçaient à faire des heures supplémentaires même quand il faisait très chaud. Nous leur disions : « On ne peut pas. Il fait extrêmement chaud. » Mais ils répondaient « Continuez à travailler » […] Qu’est-ce que nous pouvons faire, nous les pauvres ? Nous devons travailler. Nous devons faire un travail difficile. »

De nombreux employés ont également signalé avoir été victimes d’autres abus, tels que la confiscation de leur passeport, des hébergements surpeuplés et insalubres, de la nourriture de mauvaise qualité, et des traitements discriminatoires selon leur rang.

Des réformes systématiques et une diligence accrue en matière de droits humains sont requises en urgence

Les témoignages de ces hommes mettent en évidence non seulement les manquements du gouvernement saoudien, mais aussi l’environnement à haut-risque dans lequel les entreprises – y compris de grandes multinationales – opèrent lorsqu’elles décident d’œuvrer sur des projets de construction en Arabie saoudite, secteur tributaire d’un vaste réseau de sous-traitants.

En effet, en dépit de quelques réformes limitées, le système de parrainage (kafala) persiste en pratique. Associé à la faible mise en œuvre de dispositions de protection en faveur des travailleurs – notamment avec des inspections portant davantage sur le respect par les entreprises de l’effort de nationalisation (« saoudisation ») voulu par le gouvernement et sur la légalité du statut des travailleurs·euses migrants, plutôt que sur la protection de leurs droits – et à la récente réduction des sanctions pour certaines pratiques abusives au regard du droit du travail, cela crée un climat favorisant l’exploitation. Ce contexte requiert que les entreprises appliquent de manière proactive la diligence requise en matière de droits humains, afin de prévenir la moindre atteinte à ces droits. De telles initiatives sont très limitées en Arabie saoudite, où les droits humains sont systématiquement réprimés, et les libertés d’expression et d’association sont en pratique inexistantes. Si les entreprises ne disposent pas de la capacité ou de la volonté d’évaluer ou d’écarter les risques, elles doivent envisager de renoncer à l’activité concernée.

« Tandis que l’Arabie saoudite poursuit de gigantesques projets très médiatisés, comme la Coupe du monde de 2034, les autorités doivent complètement démanteler le système de kafala et appliquer rigoureusement le droit du travail, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains. Renforcer les garanties et veiller à l’obligation de rendre des comptes pour les millions de travailleurs migrants qui rendent ces projets possibles est la seule manière d’assurer qu’ils ne soient plus traités comme si la main-d’œuvre était jetable », a déclaré Marta Schaaf.

« Pour les entreprises établies ou arrivant en Arabie saoudite, ces constats devraient servir de mise en garde claire : suivre une procédure exhaustive de diligence requise en matière de droits humains n’est pas facultatif. Faute de procédures solides en place dès le début et de plan adéquat pour répondre aux problèmes en matière de droits humains, les entreprises risquent d’être directement liées ou de contribuer à des violations systématiques des droits des travailleurs.

« Enfin, les pays d’origine, notamment le Bangladesh, l’Inde et le Népal, doivent assumer leurs responsabilités et protéger leurs ressortissant·e·s en effectuant un suivi de la conduite des agences de recrutement, en enquêtant et en sanctionnant les responsables le cas échéant. Si les responsabilités ne sont pas véritablement établies à travers les pays concernés, le cycle de la violence continuera. »