- Les travaux de recherche des personnes disparues sont principalement dirigés par des femmes, qui sont exposées à des risques, des attaques et des répercussions économiques et sur leur santé en effectuant ce travail ;
- Le travail des femmes menant ces recherches vient pallier les lacunes des États, qui manquent à leur obligation de rechercher les personnes disparues ;
- Amnesty International appelle les États à intervenir avec diligence, en adoptant des approches différenciées selon le genre face aux violations des droits humains auxquelles sont confrontées les femmes effectuant des recherches.
À l’occasion de la Journée internationale des victimes de disparition forcée, Amnesty International lance jeudi 29 août la campagne internationale « Chercher sans peur » qui reconnaît le travail important accompli par les femmes recherchant des personnes disparues dans les Amériques, et appelle les États à les protéger et à garantir leurs droits lors de la recherche de leurs proches.
Bien que les disparitions puissent se produire pour différentes raisons, l’État a l’obligation de localiser les personnes disparues. Tant que ce ne sera pas le cas, la disparition d’une personne aura des impacts profonds sur sa famille, ses proches et son entourage.
Dans les Amériques, s’opposer aux politiques gouvernementales, élever la voix pour revendiquer des droits, habiter une zone de conflit armé ou affectée par le crime organisé, migrer sans les documents exigés par les pays de transit et de destination, figurent parmi les motifs invoqués pour justifier l’inexcusable : que la liberté d’une personne soit restreinte et que le lieu où elle se trouve ne soit pas révélé à sa famille et à ses proches.
Dans le cadre de cette campagne, Amnesty International présente son rapport intitulé Buscar sin miedo: Estándares internacionales aplicables a la protección de mujeres buscadoras en las Américas. Ce rapport reconnaît que la recherche des personnes disparues a été dirigée et effectuée principalement par des femmes. Des exemples emblématiques dans la région peuvent être retracés jusqu’à l’époque des gouvernements dirigés par des juntes militaires et de conflits armés, tels que les cas des Grands-mères de la Plaza de Mayo en Argentine et des femmes de Calama au Chili ; le leadership des femmes autochtones dans les situations de conflit armé, dans des pays comme le Guatemala et le Pérou ; mais aussi dans le cas de femmes d’Amérique centrale qui ont traversé les frontières et créé des mécanismes transnationaux de recherche de personnes migrantes disparues.
Les exemples de la Colombie et du Mexique
« La campagne que nous lançons aujourd’hui rend visible la lutte inlassable des femmes cherchant des proches disparus dans les Amériques, avec les cas emblématiques de la Colombie et du Mexique, deux pays profondément marqués par toutes sortes de disparitions. En plus d’être elles-mêmes victimes de la disparition forcée de membres de leur famille ou de proches, ces femmes défendent les droits humains en toute légalité et méritent d’être reconnues et protégées en tant que telles », a déclaré Ana Piquer, directrice pour les Amériques à Amnesty International.
Dans le cas de la Colombie, la disparition forcée fait partie du répertoire des violences qui affectent le pays, résultat du conflit armé et de la violence sociopolitique qui l’affligent depuis des décennies. La Commission pour la découverte de la vérité, la coexistence et la non-répétition a indiqué dans son rapport final de 2022 que le nombre des victimes de cette grave violation des droits humains était estimé à environ 210 000 personnes.
Les organisations de familles de victimes de disparition forcée et de femmes effectuant ces recherches ont exigé du gouvernement une réponse à cette terrible situation. L’une d’entre elles est la Fondation Nydia Érika Bautista, qui accompagne aujourd’hui directement 519 cas de disparition forcée grâce à des services de soutien juridique, de documentation, de mémoire et de communication, ainsi qu’une école de leadership pour les chercheuses, entre autres activités.
Le Mexique est quant à lui confronté à une grave crise en matière de disparitions, principalement liée au contexte d’insécurité qui affecte le pays depuis plusieurs décennies. Selon des données du Registre national des personnes disparues et non localisées, du 31 décembre 1952 au 23 août 2024 au Mexique, quelque 115 496 personnes ont disparu et n’ont pas été localisées. Une intensification de la violence à l’égard des personnes et des femmes effectuant des recherches a par ailleurs été observée récemment. Selon l’organisation Article 19, 16 personnes menant des recherches ont été tuées au cours de cette période de six ans, dont 13 femmes ; une femme a en outre été portée disparue.
Il existe dans le pays plus de 200 collectifs de familles de personnes disparues, dirigés en grande majorité par des femmes. C’est le cas du collectif Hasta Encuentarte, dans l’État de Guanajuato, qui a pour tâche principale d’effectuer des recherches, avec la participation des autorités de l’État ou des brigades dites indépendantes. Grâce à son travail, 23 charniers ont été localisés et 203 personnes disparues ont été retrouvées.
Chercheuses en danger
Les femmes effectuant des recherches sont confrontées à divers risques, menaces et attaques qui sont spécifiques à leurs propres parcours de vie, identités, projets et environnements socio-économiques et culturels. Cela ne devrait pas se produire et c’est la preuve manifeste d’un déficit dans la protection des droits.
La Fondation Nydia Érika Bautista et le collectif Hasta Encuentarte témoignent du rôle moteur que les femmes ont assumé dans les Amériques pour retrouver des parents et des proches. Leurs histoires sont également le reflet de la résistance à la violence à l’égard des femmes, des défenseures des droits humains, des victimes de disparition et des chercheuses. Malgré les risques, les menaces et les attaques auxquels elles sont confrontées, elles poursuivent leur travail de recherche, et réclament avec force et clarté la fin de l’impunité.
« L’expérience de la recherche et des risques, menaces et attaques auxquels sont exposées ces chercheuses est traversée par le fait qu’elles sont des femmes. Ce n’est pas un hasard et cela est imposé par les rôles que la société attribue aux femmes, et leur protection doit donc tenir compte de cette particularité pour être efficace », a expliqué Ana Piquer.
Amnesty International a pu confirmer que divers droits des membres de la Fondation Nydia Érika Bautista et du collectif Hasta Encuentarte ont été bafoués. Les recherches menées par ces femmes ont été marquées par des menaces, des attaques, la stigmatisation, la discrimination et d’autres violations des droits humains, dont les effets persistent à ce jour et s’ajoutent à de nouvelles violations, perpétuant ainsi le cycle de la violence.
Des membres du collectif Hasta Encuentarte ont par exemple été menacées et agressées par des personnes portant des armes à feu lors de recherches sur le terrain. Parallèlement, à la fin des années 1990, les dirigeantes de la Fondation Nydia Erika Bautista et leurs familles ont été contraintes à l’exil, sur fond d’attaques, de menaces graves et de discours stigmatisants de la part des autorités. De retour en Colombie, où ces personnes vivent aujourd’hui, elles poursuivent leurs recherches, mais les menaces et les attaques persistent.
Amnesty International a également écouté leurs récits sur la détérioration de leur santé physique et mentale, et sur les impacts socioéconomiques résultant de la disparition forcée de parents et de proches, des efforts de recherche sur le territoire, et du manque de protection et de reconnaissance de leur travail par les États.
Une autre forme de violence vécue par ces femmes est le manque d’enquêtes et de sanctions concernant la disparition d’un être cher et, par la suite, les attaques et les menaces qui restent impunies – même si elles les dénoncent inlassablement.
Mettre un terme à l’inaction des institutions
« Les États doivent garantir le droit des femmes effectuant ces recherches de pouvoir effectuer leur travail sans crainte, et ils doivent enquêter sur les violations des droits humains qu’elles subissent. Leurs recherches comblent le vide laissé par l’absence d’une action institutionnelle qui soit efficace et garantisse le respect des droits. Ce sont les États qui devraient rechercher les personnes disparues et garantir les droits des femmes essayant de les retrouver. Il est grave qu’ils ne le fassent pas et il est encore plus grave que celles et ceux qui recherchent les personnes disparues, en particulier les femmes, risquent leur vie lorsqu’elles mènent cette tâche », a déclaré Edith Olivares Ferreto, directrice exécutive d’Amnesty International Mexique.
Amnesty International appelle les États des Amériques à respecter les obligations qui leur incombent en vertu du droit international relatif aux droits humains et qui sont énoncées dans le rapport. Les États doivent entre autres reconnaître le droit des femmes chercheuses de participer aux recherches de l’État et d’effectuer des recherches pour leur propre compte, ainsi que leur droit de défendre les droits humains sans discrimination, dans une perspective de genre et avec des approches différenciées. De même, les États doivent les protéger contre les divers risques, menaces et atteintes aux droits humains auxquels elles sont exposées.