Tous les renvois forcés de réfugié·e·s et demandeur·euses d’asile vers l’Afghanistan doivent cesser sur-le-champ, a déclaré Amnesty International, alors que les derniers chiffres de l’ONU révèlent que l’Iran et le Pakistan, à eux seuls, ont expulsé illégalement plus de 2,6 millions de personnes vers le pays cette année. Environ 60 % d’entre elles étaient des femmes et des enfants. Des milliers d’autres ont été expulsées depuis la Turquie et le Tadjikistan.
Ces chiffres émergent alors que les talibans intensifient leurs attaques contre les droits humains, ce qui a des répercussions terribles, en particulier pour les femmes et les filles, et que le pays s’enlise dans une crise humanitaire, à laquelle s’ajoute la récente série de catastrophes naturelles. L’aggravation de cette crise humanitaire en Afghanistan accroît le risque réel de préjudices graves pour les personnes renvoyées et met en lumière l’obligation de non-refoulement qui incombe aux États en vertu du droit international coutumier, lequel interdit le renvoi forcé de toute personne vers un pays où elle court un risque réel de subir de graves violations des droits humains.
Cette année, les États européens ont eux aussi redoublé d’efforts pour renvoyer de force des Afghan·e·s. Les médias ont rapporté que l’Allemagne, l’Autriche et l’Union européenne mènent des négociations avec les autorités talibanes de facto en vue de faciliter ces renvois forcés.
« Malgré la répression largement avérée des droits humains qu’exercent les talibans, de nombreux États, dont l’Iran, le Pakistan, la Turquie, le Tadjikistan, l’Allemagne et l’Autriche, réclament de renvoyer des Afghans dans un pays où les violations, en particulier contre les femmes, les filles et les voix dissidentes, sont généralisées et systématiques. Sans parler de la crise humanitaire qui s’aggrave, plus de 22 millions de personnes – soit près de la moitié de la population du pays – ayant besoin d’aide, a déclaré Smriti Singh, directrice régionale pour l’Asie du Sud à Amnesty International .
« Cet empressement à renvoyer de force des personnes en Afghanistan ne prend pas en compte les motifs qui les ont poussées à partir initialement, ni les graves dangers auxquels elles s’exposent en cas de retour. Il témoigne d’un mépris flagrant vis-à-vis des obligations internationales qui incombent à tous les États et viole le principe contraignant de non-refoulement. »
Sous le régime taliban, les femmes et les filles sont systématiquement effacées de la vie publique. Elles se voient interdire d’accéder à l’éducation après l’âge de 12 ans, leur droit de circuler librement et leur liberté d’expression sont piétinées, et il leur est interdit de travailler pour l’ONU et les ONG ou de participer aux affaires de l’État – sauf dans des cas exceptionnels tels que la sécurité aéroportuaire, l’enseignement primaire et les soins de santé. Ceux qui ont travaillé pour l’ancien gouvernement – notamment les membres des Forces nationales afghanes de défense et de sécurité (ANDSF) – ou ceux qui critiquent la politique répressive des talibans, dont les défenseur·e·s des droits humains et les journalistes, subissent de violentes représailles.
Amnesty International a mené 11 entretiens à distance : avec sept personnes contraintes de retourner en Afghanistan depuis l’Iran et le Pakistan, et quatre réfugié·e·s et demandeurs·euses d’asile menacés d’expulsion immédiate depuis ces deux pays, entre juillet et novembre 2025. L’une des quatre personnes interrogées, craignant d’être arrêtée par les talibans, a réussi à retourner dans le pays d’où elle avait été expulsée.
Des attaques contre d’anciens employé·e·s du gouvernement
Dans le sillage des récents affrontements transfrontaliers avec les talibans, le Pakistan a multiplié les mesures visant à expulser les réfugié·e·s afghans. En Iran, au moins 2,6 millions d’Afghans ont été enregistrés en 2022 afin de bénéficier d’une protection temporaire et d’accéder aux services essentiels – éducation publique, permis de travail et soins de santé publics notamment – grâce à un document de « recensement ». Cependant, le 12 mars 2025, le Centre iranien pour les étrangers et les affaires d’immigration, qui relève du ministère de l’Intérieur, a annoncé que les documents de « recensement » des Afghan·e·s expireraient automatiquement à compter du début de l’année 1404 du calendrier iranien (soit le 21 mars 2025) et que leur accès aux services socio-économiques serait supprimé.
Les expulsions massives orchestrées par les autorités iraniennes se sont intensifiées au lendemain de l’escalade des hostilités entre Israël et l’Iran en juin 2025 ; entre juillet et octobre 2025, plus de 900 000 Afghan·e·s ont été expulsés illégalement d’Iran, sur 1,6 million entre janvier et octobre 2025.
Shukufa* travaillait pour l’ancien gouvernement afghan et au sein d’une organisation internationale avant que les talibans ne s’emparent du pouvoir en août 2021. Elle a fui en Iran début 2022, mais a été renvoyée de force quelques mois plus tard, son visa ayant expiré. Tout de suite après son retour, elle s’est enfuie au Pakistan où elle a réussi à obtenir l’asile auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Toutefois, en juin 2025, la police a perquisitionné son domicile et elle a été expulsée vers l’Afghanistan avec sa famille.
Elle a décrit la situation sous le régime taliban : « Nous ne pouvons pas quitter librement notre maison… Il n’y a pas de travail. Les écoles de filles sont fermées. Il n’y a aucune perspective d’emploi. Nous [en tant qu’employés de l’ancien gouvernement et militants] ne pouvons pas nous rendre directement dans les bureaux gérés par les talibans par crainte d’être reconnus. »
Plusieurs anciens représentant·e·s du gouvernement, membres des anciennes forces de sécurité et militant·e·s interrogés par Amnesty International ont déclaré vivre dans la peur et ne pas pouvoir rentrer dans leurs provinces ou leurs maisons, du fait de leur travail et de leur militantisme passés. Malgré l’annonce d’une amnistie générale pour les personnes ayant travaillé pour l’ancien gouvernement, les talibans ne cessent de s’en prendre aux anciens représentant·e·s du gouvernement et membres des forces de sécurité et de défense, se livrant à des arrestations arbitraires, des actes de torture, des détentions illégales et des exécutions extrajudiciaires. Ces violations se poursuivent, notamment sous forme d’arrestations arbitraires, d’actes de torture et de mauvais traitements, ainsi que l’assassinat de 14 anciens membres des forces de sécurité et de défense entre juillet et septembre 2025. Le 21 novembre, un média afghan basé à l’étranger a rapporté que les talibans avaient interpellé cinq anciens membres des forces de sécurité expulsés d’Iran qui étaient en route pour leur province d’origine, le Panjshir.
Shukufa*, qui travaillait pour le précédent gouvernement, a déclaré : « Je ne peux plus retourner à mon ancien domicile. La maison est occupée. Nous avons loué une maison ailleurs… Mon mari travaillait pour les services de sécurité. Lui aussi craint pour sa vie. »
Gull Agha*, qui travaillait pour les services de sécurité et de défense avant août 2021, n’a eu d’autre choix que de quitter l’Iran en avril 2025 car son document de « recensement » avait expiré. D’après son témoignage, les autorités iraniennes lui avaient dit, ainsi qu’à d’autres ressortissants afghans, qu’ils pourraient revenir en Iran en demandant des visas de travail auprès du consulat et de l’ambassade d’Iran en Afghanistan, sans tenir compte des graves risques auxquels Gull Agha et d’autres seraient exposés une fois de retour en Afghanistan.
Il a expliqué : « On nous avait dit qu’en Afghanistan, on pourrait s’adresser au consulat iranien pour obtenir un visa de travail ; mais je suis un ancien membre des forces de sécurité et il m’est impossible d’aller demander un passeport [afghan] au service des passeports. Ils ont toutes mes données biométriques. »
Il a ajouté que ceux qui s’étaient rendus au consulat iranien s’étaient vu répondre que ce programme de « visas de travail » n’existait pas. En août 2025, une enquête du HCR révélait que 82 % des personnes renvoyées étaient endettées en raison de leur déplacement forcé, de l’absence d’emplois et des prêts contractés pour subvenir à leurs besoins essentiels à leur arrivée en Afghanistan.
Persécution des femmes et des filles
Malgré des discriminations liées au genre parmi les pires au monde – qui s’apparentent au crime contre l’humanité de persécution fondée sur le genre –, de nombreuses femmes et filles sont expulsées vers l’Afghanistan. Selon les estimations de l’ONU, la moitié des personnes expulsées du Pakistan étaient des femmes et des filles, tandis qu’elles représentaient 30 % des personnes expulsées d’Iran jusqu’en juin 2025.
Sakina*, défenseure des droits des femmes, a fui au Pakistan après l’arrivée au pouvoir des talibans en 2021, mais a été renvoyée de force en septembre 2025, alors qu’elle était enregistrée auprès du HCR et inscrite à un programme américain de réinstallation à titre humanitaire.
Les talibans ont arrêté et battu à deux reprises des membres de la famille de Sakina pour obtenir des informations sur l’endroit où elle se trouvait. À son retour en Afghanistan, elle s’est installée dans une autre province avant de fuir à nouveau le pays.
« Je ne suis pas sortie de chez moi pendant que je me trouvais en Afghanistan. Les femmes ont peur des talibans. J’avais le sentiment que les gens avaient perdu [tout espoir] à cause de cette terreur. J’avais peur que les talibans me reconnaissent, mais aussi qu’ils m’arrêtent parce que je ne portais pas le hijab », a confié Sakina à Amnesty International.
« Tous les États doivent immédiatement mettre fin aux renvois forcés et respecter le principe de non-refoulement, une obligation qui découle du droit international. Ne pas le faire revient à ignorer les graves dangers auxquels les Afghan·e·s sont confrontés et à se soustraire à leurs responsabilités juridiques et morales. En outre, ils doivent étendre et accélérer les mesures de réinstallation et reconnaître d’emblée les défenseur·e·s des droits humains, les femmes et les filles, les anciens représentant·e·s du gouvernement, les journalistes et les personnes exposées à des risques accrus, comme des réfugié·e·s », a déclaré Smriti Singh.
*Les noms ont été modifiés afin de protéger l’identité des personnes citées.