Les autorités togolaises doivent mettre fin au recours inutile et excessif à la force contre les manifestants, a déclaré Amnesty International alors que des manifestations ont été de nouveau violemment réprimées dans la capitale, Lomé, depuis le 26 juin.
L’organisation s’est entretenue avec 18 victimes et témoins dont 13 ont décrit un usage illégal de la force et des mauvais traitements infligés par les forces de sécurité à des manifestants et des passants.
Ces cas doivent faire l’objet d’enquêtes indépendantes et transparentes de toute urgence.
Marceau Sivieude, directeur régional par intérim d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale
Ces manifestations, considérées comme illégales par les autorités, sont les dernières d’une série tenues depuis le début du mois de juin contre la répression de la dissidence, le coût élevé de la vie et les changements constitutionnels. Le mois dernier, Amnesty International a documenté des allégations de torture ou de mauvais traitements sur des manifestants.
« Ces derniers jours, nous avons interrogé des personnes qui affirment que des hommes en uniforme identifiés comme des membres des forces de sécurité ont commis des homicides illégaux, des arrestations et détentions arbitraires, des actes de torture et autres mauvais traitements, et plusieurs enlèvements. Ces cas doivent faire l’objet d’enquêtes indépendantes et transparentes de toute urgence », a déclaré Marceau Sivieude, directeur régional par intérim d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
Des témoignages d’un usage illégal de la force par les forces de sécurité
Treize personnes interrogées par Amnesty International ont déclaré que des hommes suspectés d’être des membres des forces de sécurité et des personnes décrites comme des « miliciens » avaient eu recours à un usage inutile et excessif de la force et à la violence.
Un homme vivant à Avénou a déclaré : « le 30 juin, tout était tranquille dans le quartier. Subitement, trois pickups et une voiture sont rentrés à toute vitesse dans notre rue. Tout le monde a commencé à fuir. Des hommes sont rentrés dans notre maison en forçant la porte. Ils nous ont fait sortir et nous ont dit de nous agenouiller. Ils étaient tous en civil, ils ont braqué leurs armes sur nous, puis ils nous ont battus. Ils sont partis en disant qu’ils allaient revenir. »
Un homme de 38 ans a déclaré : « le 26 juin, vers 15h, je participais à une manifestation à Attiégou lorsqu’un groupe de militaires m’a attaqué. Ils m’ont frappé violemment. J’ai fini par perdre connaissance et des jeunes m’ont emmené pour que je sois soigné ».
Un adolescent de 17 ans a déclaré avoir été arrêté le 26 juin par des gendarmes et détenu pendant cinq jours, d’abord au poste de gendarmerie de Zorobar, puis à l’ancienne direction générale de la gendarmerie nationale et au camp de gendarmerie d’Avepozo. « Ils nous ont mis à genoux, les bras levés. Si nous baissions les bras, ils nous frappaient avec des cordelettes […]. Toute la journée, nous n’avons bu qu’un sachet d’eau, » a-t-il déclaré.
Cet adolescent dit encore souffrir de douleurs au dos. Selon lui, plus de 40 personnes étaient détenues avec lui à la gendarmerie le 30 juin, dont d’autres enfants.
Deux hommes et une femme sont recherchés par leurs proches depuis le 27 juin. Ils auraient été enlevés par des hommes non identifiés dans un logement du quartier Adidogomé. Dans une vidéo diffusée le 27 juin en direct sur Tik Tok par une des victimes, on voit des personnes faire irruption dans la pièce, puis la vidéo s’interrompt. Dans les jours précédents, il avait publié plusieurs vidéos en faveur des manifestations et dénonçant des arrestations arbitraires.
Toute la lumière doit être faite sur ces décès et sur le sort des personnes disparues.
Fabien Offner, chercheur au bureau régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale
Au moins sept personnes retrouvées mortes, dont des enfants
Les parents d’un adolescent de 16 ans retrouvé mort le 27 juin dans la lagune de Bè ont déclaré à Amnesty International que des éléments des forces de sécurité en uniformes noirs étaient entrés la veille dans le quartier et que des tirs de gaz lacrymogène avaient été entendus. Le corps de la victime a été repêché avec celui d’un autre enfant.
Dans un communiqué partagé le 29 juin, des organisations de la société civile togolaise ont recensé sept morts dont les corps ont été retrouvés dans des étendues d’eau à Lomé, et ont évoqué des « bastonnades », des « arrestations arbitraires de passants, de jeunes et de personnes âgées », et des « courses poursuites […] de jeunes, parfois d’enfants, obligés de se réfugier dans la lagune […] ».
Le communiqué mentionne également « des blessures par balles constatées sur les trois corps retrouvés dans la lagune de Bè le 27 juin, […] et des témoignages de résidants qui ont dit avoir entendu des tirs ».
« Toute la lumière doit être faite sur ces décès et sur le sort des personnes disparues. Les personnes détenues pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression et de rassemblement pacifique doivent être libérées, » a déclaré Fabien Offner, chercheur au bureau régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
Le gouvernement a annoncé le 29 juin que les corps retrouvés étaient ceux de personnes décédées par « noyade », invoquant « les résultats des analyses médico-légales ».
« Nous ignorons le nombre exact des personnes déférées et de celles encore en garde à vue », a expliqué à Amnesty International l’avocat Darius K. Atsoo, selon qui, à la date du 30 juin, 18 personnes arrêtées les 26, 27 et 28 juin avait été libérées et 31 personnes étaient maintenues en détention à la suite d’auditions devant le procureur de la République.
Le 2 juillet, au moins six personnes n’avaient pas été retrouvées par leurs proches, selon des témoignages.
Contexte
Depuis l’adoption d’une nouvelle constitution en avril 2024, le pouvoir est concentré entre les mains du président du Conseil des ministres, chef du parti majoritaire. L’ancien président Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis la mort de son père en 2005, a accédé à cette fonction le 3 mai 2025.
Ces dernières années, les autorités togolaises ont régulièrement interdit des manifestations pacifiques et des réunions de partis politiques et organisations de la société civile, et réprimé la liberté d’expression et de réunion pacifique, y compris en condamnant des journalistes à des peines de prison ferme.