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Union européenne. Des informations révèlent que certains États sont prêts à exposer les défenseurs des droits humains à des risques pour protéger le secteur de la surveillance

Les États membres de l’UE doivent soutenir les propositions de restrictions des exportations de matériel de surveillance aux régimes répressifs, ont déclaré Access Now, Amnesty International et Reporters sans frontières après que des documents divulgués ont révélé que plusieurs pays de l’Union européenne (UE), notamment la Suède et la Finlande, font pression pour affaiblir les mesures de protection des droits humains dans le domaine des contrôles européens à l’exportation des technologies de surveillance. Ces informations ont été rendues publiques lundi 29 octobre par des journalistes défendant les droits numériques sur netzpolitik.org et par Reporters sans frontières.

« Le système actuel de l’UE n’oblige pas les gouvernements et les entreprises d’Europe à rendre compte de leurs actes. Il est accablant de constater que la protection de la vie privée des personnes et la sauvegarde de la liberté d’expression dans le monde ne figurent pas sur la liste des priorités du Conseil de l’UE », a déclaré Lucie Krahulcova, analyste politique à Access Now.

« Ces informations révèlent que pendant que l’UE affirme publiquement défendre les droits humains, dans les coulisses, les États membres sont secrètement prêts à négocier leurs obligations de protection des défenseurs des droits humains pour favoriser des intérêts commerciaux. Ils donneraient carte blanche aux entreprises pour vendre à des régimes répressifs des technologies permettant d’accéder aux communications des personnes qui les critiquent et aux lieux où elles se trouvent », a déclaré Nele Meyer, directrice pour les droits économiques, sociaux et culturels au Bureau européen d’Amnesty International.

Les technologies de surveillance disponibles sur le marché sont utilisées par des gouvernements à travers le monde pour espionner des militants, des journalistes et des dissidents.

« La volonté de certains pays de continuer de fournir des technologies de surveillance à des régimes autoritaires qui les utilisent pour violer les droits humains est choquante. La mort de Jamal Khashoggi a mis en lumière le niveau de pression et de surveillance contre les journalistes. L’Europe doit mettre fin à la vente d’outils qui permettent d’espionner, de harceler et d’arrêter les journalistes. Ces technologies menacent la sécurité des journalistes et de leurs sources et donc les poussent à l’autocensure », a déclaré Elodie Vialle, responsable du Bureau Journalisme et Technologie de Reporters sans frontières (RSF).

Amnesty International, Privacy International, Access Now et Reporters sans frontières appellent les États membres à s’assurer que les technologies de surveillance ne soient exportées que si leur vente est conforme à des critères stricts en matière de droits humains.    Complément d’information

Après l’utilisation de technologies de surveillance pour réprimer les mouvements de protestation du printemps arabe, des organisations de la société civile et des parlementaires de l’UE ont demandé une véritable réforme des contrôles à l’exportation afin d’éviter que des entreprises européennes ne vendent à des régimes répressifs les technologies leur permettant de bafouer certains droits. En 2016, la Commission européenne a proposé des réformes du système actuel de contrôle des exportations – le Règlement sur les biens à double usage – afin « d’empêcher de graves violations des droits de l’homme liées à certaines technologies de cybersurveillance ».

Les documents divulgués lundi 29 octobre révèlent la façon dont plusieurs États membres affaiblissent systématiquement les mesures de protection des droits humains proposées par la Commission et le Parlement.

Amnesty International, Privacy International, Access Now et Reporters sans frontières font partie des ONG qui préconisent de renforcer plusieurs de ces protections, notamment en accentuant les mesures de protection des droits humains, en élargissant leur champ d’application aux nouvelles technologies de surveillance, en augmentant la transparence et en prévoyant des protections pour les recherches dans le domaine de la sécurité.

La plupart de ces mesures figuraient, sous une certaine forme, dans la proposition présentée par le Parlement européen au début de l’année 2018.

Pour que la réforme entre en vigueur, il faut que les trois institutions de l’UE trouvent un accord sur un texte final au moyen de négociations interinstitutionnelles appelées trilogues, une fois que les États membres sont parvenus à une position commune au sein du Conseil.

Comme le montrent les documents internes divulgués provenant du gouvernement allemand et du Conseil de l’UE, un groupe d’États membres a fait tomber la « clause fourre-tout », une garantie cruciale obligeant les entreprises à informer la Commission lorsqu’elles identifient des risques pour les droits humains liés à leurs exportations de technologies de surveillance.

En ce moment, un groupe d’États membres de plus en plus nombreux, mené par la Suède et la Finlande, s’attaque à un autre élément central de la réforme : une liste de technologies de surveillance pour lesquelles une procédure d’autorisation serait obligatoire.

Les législateurs disposent d’un délai très court pour travailler, car si le nouveau règlement n’est pas adopté au début de l’année 2019, il risque d’être reporté d’au moins un an en raison des élections européennes à venir. Les prochaines négociations au sein du Conseil se dérouleront en novembre 2018.