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Pays-Bas. De graves allégations contre Shell vont être examinées par la justice, 23 ans après les faits

Un tribunal néerlandais prendra connaissance mardi 12 février des premiers éléments d’une affaire décisive concernant Shell. Le géant du pétrole est accusé d’être l’instigateur de graves violations des droits humains commises par le gouvernement contre le peuple ogoni dans les années 90. Esther Kiobel, Victoria Bera, Blessing Eawo et Charity Levula intentent un procès à Shell pour son rôle présumé dans l’arrestation, la détention et l’exécution illégales de leurs époux par l’armée nigériane, à la suite d’une opération de répression brutale envers des manifestants ogonis contre la pollution dévastatrice causée par Shell dans la région.

« Shell se démène depuis des années pour que cette affaire ne soit pas entendue par un tribunal. Ils ont les ressources nécessaires pour se battre contre moi, au lieu d’aider à ce que justice soit rendue pour mon mari », a déclaré Esther Kiobel.

Amnesty International, qui soutient les demanderesses et l’équipe d’avocat·e·s ayant porté l’affaire devant la justice, a indépendamment recueilli des informations sur le rôle de Shell dans des homicides, viols et actes de torture perpétrés par le gouvernement nigérian dans le cadre de manœuvres visant à écraser la protestation. Barinem Kiobel, Baribor Bera, Nordu Eawo et Paul Levula ont été pendus en 1995 après un simulacre de procès. Leurs veuves demandent désormais une indemnisation et des excuses publiques de la part de Shell. Cinq autres hommes, dont Ken Saro-Wiwa, chef de file des manifestations, ont été exécutés à leurs côtés. Ces hommes sont désormais collectivement connus comme les « neuf Ogonis ».

« Ce sera la première fois, dans ce combat pour la justice qui dure depuis plus de 20 ans, qu’Esther Kiobel et les autres demanderesses auront la possibilité de livrer leur récit devant la justice. Ces femmes pensent que leurs époux seraient toujours vivants aujourd’hui si Shell n’avait pas fait preuve d’un tel égoïsme, qui a encouragé la répression sanglante du gouvernement contre les manifestants, alors même que l’entreprise en connaissait le coût humain », a déclaré Mark Dummett, du programmes Affaires et droits humains à Amnesty International.

« Malgré l’existence de nombreux documents secrets constituant des éléments à charge contre Shell, cette société parvient à se soustraire à la justice depuis des années et n’a jusqu’à présent jamais eu à répondre de ces accusations devant la justice. C’est un moment crucial qui s’annonce, en particulier pour toutes les personnes qui ont souffert de l’avidité et de l’irresponsabilité de multinationales dans le monde. »

Faire un procès à une puissante multinationale pour les torts qu’elle a causés dans un autre pays est un processus très long. Esther Kiobel a intenté un premier procès à Shell en 2002 à New York mais, en 2013, la Cour suprême a statué que les États-Unis n’étaient pas compétents en l’espèce. Cela signifie que la justice américaine n’a jamais examiné le fond des allégations contre Shell.

Les quatre demanderesses accusent Shell d’avoir joué un rôle déterminant dans : l’arrestation et l’incarcération illégales de leurs époux ; les atteintes à l’intégrité physique de ces hommes ; les violations du droit de ceux-ci à un procès équitable et à la vie, et de leur propre droit à une vie de famille. Amnesty International a soutenu les avocat·e·s d’Esther Kiobel lorsqu’ils ont saisi la justice néerlandaise de l’affaire en 2017, et a décrit le rôle de Shell dans ces arrestations et exécutions dans une synthèse intitulée In The Dock. Les demanderesses réclament également que le tribunal ordonne à Shell de livrer plus de 100 000 documents internes essentiels au dossier. Les avocats de Shell ont refusé de le faire, bien que ces documents aient été soumis à titre de preuve dans le cadre de la procédure américaine.

« Il est temps de mettre fin à l’impunité de Shell, qui dure depuis des décennies », a déclaré Mark Dummett.

« Le courage et la résilience de ces femmes, ainsi que leur détermination à rétablir la réputation de leurs époux et à amener Shell à rendre des comptes, sont admirables. Elles ont le soutien des militant·e·s d’Amnesty International du monde entier. »

Pour un récapitulatif complet de l’affaire, reportez-vous à la synthèse d’Amnesty International intitulée In The Dock (en anglais).

Pour en savoir plus sur la quête de justice d’Esther Kiobel, lisez Une femme contre Shell.