© ANDREA PATTARO / AFP/ Getty Images

Nous pouvons sortir grandis de cette pandémie

David Griffiths est le directeur général du bureau du secrétaire général au sein d’Amnesty International.

Les souffrances causées par la pandémie de COVID-19, l’un des grands événements de notre époque, laisseront des marques longtemps après la défaite du virus. Lorsque la crise sanitaire sera terminée, de nombreuses personnes auront subi des pertes inimaginables. Beaucoup auront perdu des proches, une large partie de la population aura perdu son emploi, voire sa maison, et des centaines de millions d’êtres humains auront fait l’expérience de l’anxiété et de la solitude liées à la distanciation sociale.

Toutefois, nous aurons également gagné quelque chose : l’occasion de faire un choix.

Lorsque nous émergerons de ce traumatisme collectif, nous pourrons choisir de revenir à notre ancien mode de vie. Ou alors, nous pourrons en tirer des leçons et faire des choix différents pour notre avenir.

Chacun et chacune d’entre nous a une motivation pour combattre ce virus, quelle que soit la région du monde dans laquelle nous vivons. Pour reprendre les mots de Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « c’est une occasion sans précédent de nous rassembler contre un ‎ennemi commun, un ennemi de l’humanité ».

Bien que cette pandémie ait entraîné des désignations honteuses et xénophobes de boucs émissaires, elle a aussi été marquée par des millions de petits actes de solidarité qui ont rapproché les gens à l’échelle locale. Si nous choisissons de rejeter le racisme et la haine, la solidarité réconfortante que nous avons observée au cours des dernières semaines peut donner lieu à des actions concrètes à grande échelle.

Nous pouvons aller au-delà du soutien à nos voisins et prendre ensemble la décision d’assurer la sécurité des personnes sans abri ou déplacées. Cette crise a ouvert les yeux de nombre de personnes sur la précarité de la situation d’autrui, et elle a mis en lumière les inégalités qui ont laissé tant d’hommes et de femmes dans le besoin urgent de trouver un refuge et d’accéder à des soins de santé. Nous pouvons et nous devons continuer de protéger ces personnes après la fin de la pandémie.

Nous pouvons refuser de nouvelles mesures d’austérité semblables à celles que de nombreux pays se sont vu imposer au cours des 10 dernières années, car les populations les plus marginalisées en sont souvent les plus touchées. Face aux profondes conséquences économiques et sociales de cette pandémie, les gouvernements devront changer leur façon d’agir.

Nous pouvons choisir de prendre le changement climatique beaucoup plus au sérieux. Dans certaines régions du monde, l’annulation des vols et l’absence de voitures qui circulent dans les rues ont entraîné une diminution considérable des émissions polluantes. Le prix humain à payer a été incroyablement élevé ; malgré tout, lorsque cette crise sera passée, rallumerons-nous simplement les moteurs ? Ou bien choisirons-nous de nous battre pour un avenir durable, né d’une juste transition des énergies fossiles aux énergies renouvelables ? Nous sommes témoins d’actions gouvernementales et d’interventions fiscales radicales, à très grande échelle, qui visent à préserver la vie, la santé et l’économie face à une menace omniprésente. Cette expérience peut-elle nous servir de modèle pour répondre à la menace encore plus dangereuse posée à notre survie ?

Nous devons nous saisir de cette occasion de renforcer nos systèmes de santé et de revenir à une conception universelle de la sécurité sociale, soutenue par des moyens adaptés. Cette crise met déjà à nu les systèmes de santé les plus fragiles à travers le monde, y compris ceux qui reposent sur la capacité individuelle à accéder aux soins et à les payer. La pandémie a prouvé qu’il n’y a pas de protection des individus sans une protection collective de l’ensemble de la population.

Nous pouvons choisir de repenser un système de sécurité sociale adapté à cette nouvelle ère. Les personnes en situation économique précaire souffrent le plus des conséquences du COVID-19 ; c’est le résultat des inégalités. Les personnes qui vivent de l’économie informelle n’ont aucune protection sociale, alors même qu’elles fournissent des services vitaux à la société. Il en va de même pour les femmes qui réalisent la plus grande partie du travail domestique non rémunéré à travers le monde. Beaucoup de personnes qui vivent de petits boulots ne peuvent pas se permettre d’appliquer la distanciation sociale ; et pourtant, les livreurs par exemple sont indispensables à la distanciation sociale du reste de la population. Gagnerons-nous un nouveau respect pour l’importance de toutes ces formes de travail ? La pandémie lancera-t-elle la dynamique nécessaire à l’établissement d’une protection sociale plus inclusive ?

Nous pouvons réclamer la régulation de la surveillance et de l’utilisation des technologies à des fins de contrôle social. La Chine a beaucoup utilisé les technologies de surveillance lorsqu’elle tentait de suivre et de limiter la propagation du COVID-19, et ce modèle semble très attirant pour de nombreux pays. Cependant, une fois qu’elles sont mises en place, il n’est pas si facile de se passer de technologies d’une telle puissance. Pouvons-nous résister à ce pacte avec le diable, à l’installation d’outils de surveillance sophistiqués qui serait le seul moyen de protéger notre santé ?

Enfin, nous pouvons choisir de reconstruire des relations de confiance. Ces dernières années, de nombreux responsables politiques ont attaqué des expertises techniques et décrédibilisé des données factuelles et la science en général, et ils en ont largement bénéficié. Ils ont tenté de faire taire la vérité en criant aux « informations fallacieuses » et en attaquant sans relâche les journalistes. Néanmoins, maintenant que nos vies dépendent si clairement de la science et de notre accès à des informations fiables et exactes, la confiance du public pour les données factuelles peut-elle être restaurée ?

Ces choix sont les nôtres ; assurons-nous de faire les bons. C’est le meilleur hommage que nous puissions rendre à toutes celles et tous ceux qui ont souffert au cours de cette pandémie.