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Amériques. Les États ne protègent pas de façon adéquate les droits du personnel soignant, en première ligne de la pandémie de COVID-19

Alors que les représentants des gouvernements se réunissent pour l’assemblée annuelle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) afin de prendre des décisions cruciales quant à la réaction internationale face à la pandémie de COVID-19, Amnesty International publie ce 19 mai un rapport sur la situation très préoccupante des droits des personnes qui travaillent dans le secteur de la santé dans les Amériques. Ce rapport engage les pays de la région à protéger de façon prioritaire les droits des personnes travaillant dans le secteur de la santé pendant et après la pandémie, et demande aux Nations unies de prendre rapidement des mesures décisives afin de garantir le financement pérenne de l’OMS.

Le rapport, intitulé Les droits du personnel soignant dans les Amériques pendant et après la pandémie de COVID-19, montre que les personnes qui se trouvent en première ligne de la lutte contre la pandémie travaillent souvent dans des conditions dangereuses, qu’elles ne disposent pas d’équipements de protection suffisants et qu’elles s’exposent à des représailles de la part des autorités ou de leurs employeurs si elles protestent, certaines d’entre elles ayant même reçu des menaces de mort ou été agressées physiquement. Le rapport demande également aux gouvernements de garantir la sécurité au travail pour les agent·e·s de propreté et pour les autres membres du personnel auxiliaire qui sont exposés à des dangers en raison de leur travail dans des établissements de soins de santé ou dans des maisons de retraite.

« En ces temps difficiles, nous sommes énormément redevables aux agent·e·s de propreté et d’entretien des hôpitaux et des maisons de retraite, aux hommes et femmes médecins et infirmiers, aux aides-soignant·e·s et aux épidémiologistes pour les efforts incessants qu’ils fournissent pour préserver notre santé. Mais il ne suffit pas de les remercier. Les gouvernements doivent prendre les mesures nécessaires pour que leurs droits fondamentaux et leur sécurité ne soient plus jamais mis en danger de façon aussi effroyable, a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International.

« Les Amériques recensent près de la moitié des personnes de par le monde qui ont été testées positives au COVID-19, avec plus de 2 millions de cas confirmés. Alors que l’Amérique latine traverse ses semaines les plus meurtrières à ce jour, il est absolument indispensable que tous les pays veillent ensemble à ce que le financement de la santé ne soit pas compromis en cette période cruciale. Cette pandémie ne connaît pas de frontières, et les États-Unis doivent soutenir la recherche d’une solution mondiale en finançant avec les autres pays l’Organisation mondiale de la santé, afin qu’elle puisse déployer ses capacités techniques et d’expertise là où elles sont le plus nécessaires. »

Sur les 21 personnes travaillant dans le secteur de la santé, aux États-Unis, au Mexique, au Honduras, au Nicaragua, au Guatemala, en République dominicaine, en Colombie et au Paraguay, avec qui Amnesty International a mené des entretiens approfondis, deux seulement ont dit à Amnesty International qu’elles estimaient disposer d’équipement des protection individuelle (EPI) suffisants ou à peu près suffisants. Les autres personnes ont fait part de leurs inquiétudes quant au manque d’EPI adéquats. Elles ont aussi exprimé des préoccupations au sujet des congés maladie, des périodes de repos et du manque de soutien psychologique au travail.

Les lignes directrices de l’OMS sur le rationnement de l’EPI soulignent que les agents de propreté et d’entretien devraient en fait disposer de plus d’EPI que de nombreux autres membres du personnel hospitalier, y compris les médecins et infirmiers qui n’ont pas de contacts directs avec des patients COVID-19. Or, Amnesty International a constaté que le personnel des services de propreté est souvent mal payé, avec des avantages sociaux précaires, et certaines de ces personnes travaillaient pour des entreprises qui ne veillaient pas à ce qu’elles disposent d’EPI adéquats. Un médecin au Honduras a dit à Amnesty International qu’il a vu dans son hôpital des agents de propreté nettoyer à mains nues des endroits où se sont trouvés des patients COVID-19.

Un agent de propreté âgé de 70 ans employé par une entreprise privée qui travaillait dans un hôpital public à Mexico et qui gagnait à peine plus de cinq dollars des États-Unis par jour, a dit à Amnesty International que quand il a demandé s’il pouvait cesser de faire le ménage dans des secteurs où se trouvent plusieurs dizaines de patients COVID-19, parce qu’il n’avait pas d’EPI et était particulièrement vulnérable en raison de son âge, son employeur a accepté sa demande mais réduit en contrepartie sa rémunération d’environ 16 %.

De nombreuses personnes travaillant dans le secteur de la santé ont dit craindre de subir des représailles si elles dénoncent leurs conditions de travail dangereuses, et certaines des personnes interrogées par Amnesty International ont été licenciées parce qu’elles ont été des lanceurs d’alerte ou ont fait l’objet de sanctions disciplinaires. Tainika Somerville, une aide-soignante diplômée qui travaille dans une maison de retraite appartenant à une entreprise privée, à Chicago, a été licenciée parce qu’elle a diffusé en direct sur Facebook une vidéo dans laquelle elle dénonçait le manque d’EPI sur son lieu de travail. Les personnes qui travaillent dans les maisons de retraite sont tout particulièrement en danger : les médias aux États-Unis et au Canada ont souligné que ce sont des épicentres de décès liés à la pandémie de COVID-19.

Au Nicaragua, le personnel de santé est tout particulièrement en danger, car le gouvernement a de façon répétée sous-estimé l’ampleur de la pandémie de COVID-19 dans le pays. L’Observatoire civil du COVID-19 au Nicaragua a dit à Amnesty International que des personnes travaillant dans le secteur de la santé ont non seulement été licenciées parce qu’elles ont utilisé des EPI, mais qu’on leur a aussi parfois arraché violemment l’équipement de protection qu’elles portaient. Bien que la vice-présidente du Nicaragua ait annoncé le 28 avril que les EPI pouvaient être utilisés et que les mesures de distanciation sociale allaient être mises en place, le gouvernement de Daniel Ortega continue de minimiser la pandémie, malgré l’augmentation du nombre de cas. L’Organisation panaméricaine de la santé (OPS) a tiré la sonnette d’alarme au sujet de l’insuffisance des mesures prises par le Nicaragua en matière de santé publique, et la Commission interaméricaine des droits de l’homme s’est dite préoccupée par le licenciement injuste, dans le pays, de personnes travaillant dans le secteur de la santé qui ont dénoncé leur situation. 

Les restrictions de la liberté d’expression peuvent aussi avoir eu des répercussions sur le droit à la santé et l’accès de la population aux informations relatives à la santé. Au Venezuela, où les autorités ont emprisonné des journalistes qui avaient publié des informations au sujet de la pandémie, les chiffres officiels, au moment où nous rédigions ces lignes, faisaient état de seulement 541 personnes infectées par le COVID-19 et de moins de 10 décès, des chiffres qui semblent sous-évalués.

« La santé des plus d’un milliard de personnes qui vivent dans les Amériques ne peut pas être protégée si des gouvernements persistent à réduire au silence les personnes lanceurs d’alerte, les journalistes et les personnes travaillant dans le secteur de la santé qui prennent courageusement la parole pour dénoncer des conditions de travail dangereuses et réclament à juste titre des mesures adéquates et responsables face à la pandémie », a déclaré Erika Guevara-Rosas.

Des membres du personnel de santé ont fait l’objet d’une stigmatisation, d’attaques physiques, de menaces de mort et se sont vu interdire l’usage des transports publics dans des pays tels que la Colombie et le Mexique, et en Bolivie on leur a même jeté des pierres publiquement. Certains gouvernements ont réagi à ces attaques en publiant rapidement des communiqués et en menant rapidement des actions de sensibilisation pour soutenir publiquement le rôle du personnel de santé, mais certains dirigeants ont pris des mesures à leur détriment.

Mi-avril, le président du Salvador, Nayib Bukele, a opposé son véto à deux décrets qui visaient à renforcer la sécurité au travail du personnel de santé, quelques jours seulement après avoir accusé des organisations de défense des droits humains d’œuvrer « pour que le nombre de morts augmente ». Cette déclaration du président salvadorien ne tient aucun compte du fait que l’OMS a spécifiquement indiqué que « les violations des droits humains ou le manque d’attention pour ces droits peuvent avoir de graves conséquences pour la santé ».