Bosnie-Herzégovine. 20 ans de déni et d’injustice

Vingt ans après la signature de l’accord de paix qui a mis fin à la guerre en Bosnie-Herzégovine, la résolution des milliers d’affaires de disparitions forcées reste utopique, tandis que la discrimination et l’absence de volonté politique continuent d’entraver l’accès à la justice, à la vérité et à des réparations pour les victimes, a déclaré Amnesty International.

Si l’accord de paix de Dayton, signé le 14 décembre 1995 à Paris, a dans les faits mis fin au conflit armé qui avait fait plus de 100 000 morts depuis 1992, les dirigeants de Bosnie-Herzégovine n’ont pas fait preuve d’un réel engagement envers la justice et les réparations.

« Les dirigeants de Bosnie-Herzégovine doivent immédiatement débloquer l’accès à la justice, à la vérité et aux réparations pour les victimes de crimes de guerre, y compris pour les victimes de violences sexuelles. Ces mesures fondamentales permettront au pays d’aller de l’avant en apaisant enfin les griefs du passé », a déclaré Gauri van Gulik, directrice adjointe du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

Les dirigeants politiques, notamment dans la région à majorité serbe de la Republika Srpska, ont maintes fois empêché de faire la lumière sur les crimes de guerre et d’amener les responsables présumés à rendre des comptes. La décision récente de suspendre la coopération avec la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine restreint encore les enquêtes et les poursuites contre les personnes soupçonnées d’être responsables pénalement de crimes de guerre, susceptibles de se cacher sur le territoire de la Republika Srpska.

Le gouvernement central ne remplit pas non plus pleinement son engagement envers la justice. La stratégie nationale en matière de justice transitionnelle, bien qu’ayant fait l’objet d’une longue élaboration, n’a jamais été adoptée ni appliquée par la classe politique. En raison du manque de financement et de ressources, de nombreuses victimes et leurs familles savent que leurs affaires ne feront pas l’objet d’une enquête de leur vivant.

Amnesty International exhorte les autorités de Bosnie-Herzégovine à s’engager à résoudre les plus de 8 000 disparitions forcées survenues pendant la guerre de 1992-1995 et non résolues à ce jour, ainsi qu’à permettre aux familles de connaître la vérité, d’obtenir justice et de bénéficier de réparations. De nombreuses affaires n’ont toujours pas été examinées, nombre de victimes et leurs familles luttent contre l’empilement des dossiers ou découvrent que leur affaire est en fait étouffée sous les obstacles administratifs. Le gouvernement n’a pas mis en œuvre la Loi sur les personnes disparues, adoptée en 2004 avec l’objectif de créer un fonds pour soutenir les familles des personnes disparues.

« Cette loi est un chaînon crucial pour garantir des réparations aux familles, souvent appauvries après avoir perdu leur unique soutien de famille durant la guerre. Il n’y a plus de temps à perdre », a déclaré Gauri van Gulik.

Révéler le sort des personnes disparues est encore plus difficile depuis les coupes budgétaires de l’Institut national des personnes disparues, qui limitent ses capacités pour de nouvelles exhumations, la vérification de preuves et l’identification des restes.

Pendant trois ans, la guerre a opposé les forces de la République de Bosnie-Herzégovine aux forces bosno-serbes et bosno-croates. Elle a été marquée par les camps de concentration, les violences sexuelles et le nettoyage ethnique. Lors du massacre de Srebrenica, ciblant les Bosniaques, plus de 8 000 hommes et garçons ont été exécutés dans le cadre du pire crime commis sur le sol européen depuis 1945.

Il reste très difficile pour les victimes de violences sexuelles d’avoir accès à des réparations, particulièrement dans la Republika Srpska où leur statut de victimes civiles de guerre est remis en cause, et où nombre d’entre elles sont stigmatisées et ostracisées.

Même lorsque les tribunaux confirment la commission d’un crime de guerre impliquant des violences sexuelles, les indemnisations sont rarement remises aux victimes directement, ce qui les contraint à révéler leur identité lorsqu’elles portent plainte devant des tribunaux civils, et les expose à être de nouveau victimisées et exclues socialement.

« Les intérêts concurrents des élites politiques de Bosnie-Herzégovine privent les victimes de leur droit à réparation et de la possibilité de réintégrer une société libre de toute discrimination. Il est temps que les dirigeants démontrent leur volonté politique de rendre justice aux victimes et de leur offrir une vie faite de dignité », a déclaré Gauri van Gulik.