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Afrique du Sud. Le système éducatif défaillant et inégalitaire perpétue la pauvreté et les inégalités

Le système éducatif sud-africain, caractérisé par ses infrastructures délabrées, ses salles de classe bondées et son taux de réussite scolaire relativement faible, perpétue les inégalités et, par conséquent, manque à ses obligations envers de nombreux enfants, ceux des populations pauvres étant les plus touchés, d’après le nouveau rapport publié par Amnesty International le 11 février 2020.

Le rapport intitulé Broken and Unequal: The State of Education in South Africa (en anglais) appelle le gouvernement d’Afrique du Sud à prendre des mesures de toute urgence pour remédier aux insuffisances généralisées du système, afin de garantir le droit à une éducation de qualité pour tous les enfants en Afrique du Sud.

Le rapport met particulièrement en lumière la mauvaise qualité des infrastructures dans les écoles publiques du pays, notamment en ce qui concerne les installations sanitaires, deux enfants ayant trouvé la mort dans des latrines à fosse ces dernières années.

« Pour respecter ses obligations tant constitutionnelles qu’internationales en matière de droits humains en ce qui concerne l’éducation, l’Afrique du Sud doit procéder à des changements majeurs de toute urgence », a déclaré Shenilla Mohamed, directrice d’Amnesty International Afrique du Sud.

« Le droit à une éducation de qualité implique l’accès à un établissement scolaire où les élèves peuvent apprendre en toute sécurité dans des infrastructures et avec des équipements adaptés. Nos recherches ont démontré que de nombreux élèves ne bénéficient pas de ces conditions dans le pays. »

Le rapport démontre que le système éducatif reste marqué par de graves inégalités et des résultats insuffisants profondément ancrés dans l’héritage de l’apartheid, mais également liés au fait que le gouvernement n’a pas pris de mesures pour y remédier.

Par exemple, de nombreuses écoles et tranches de la population continuent de souffrir des conséquences des décisions politiques et économiques prises à l’époque de l’apartheid, lorsque la population était séparée en fonction de la couleur de peau, et ce sont encore aujourd’hui les écoles accueillant les populations blanches qui disposent de ressources suffisantes. En conséquence, la qualité de l’enseignement qu’un enfant reçoit en Afrique du Sud aujourd’hui dépend encore largement de l’endroit où il est né, de la situation économique de sa famille et de la couleur de sa peau.

Alors que le président se prépare à donner son discours sur l’état de la nation cette semaine, la question centrale est : pourquoi la qualité de l’éducation que reçoit un enfant en Afrique du Sud dépend-elle toujours autant de l’endroit où il est né, de la situation économique de sa famille et de la couleur de sa peau ?

Bien que le rapport souligne que des progrès ont été réalisés depuis la fin de l’apartheid en ce qui concerne l’accès à l’éducation, entre autres aspects, il identifie également des faiblesses du Département de l’éducation de base, qui n’a notamment pas atteint ses objectifs à plusieurs reprises en ce qui concerne les infrastructures et les installations.

Dans de telles circonstances, il n’est pas surprenant que les résultats scolaires restent relativement mauvais. Par exemple, une récente enquête internationale a montré que plus de 75 % des enfants âgés de neuf ans ne savaient pas lire. Ce taux atteint 91 % dans la province du Limpopo et 85 % dans la province du Cap-Est. Sur 100 élèves commençant l’école primaire, entre 50 et 60 suivront un enseignement secondaire, 40 à 50 termineront l’enseignement secondaire et seuls 14 iront à l’université.

« Le système éducatif en Afrique du Sud est l’un des plus inégalitaires au monde. Les élèves des 200 meilleures écoles obtiennent plus de mentions en mathématiques que les élèves des 6 600 écoles suivantes dans le classement combinées. Les règles du jeu doivent être rééquilibrées. »

Des promesses sans lendemain

En 2013, le gouvernement a adopté les Normes et standards minimaux pour les installations éducatives, imposant au gouvernement de veiller à ce que, à l’horizon novembre 2016, toutes les écoles soient équipées d’installations sanitaires et d’électricité, à ce que toutes les latrines à fosse soient remplacées par des installations sanitaires adaptées et à ce que les matériaux inadaptés utilisés pour la construction des écoles, comme la boue ou l’amiante, soient remplacés. Cependant, comme le démontrent les chiffres du gouvernement lui-même, ces objectifs n’ont pas été atteints.

Le gouvernement continue d’échouer à respecter ses propres objectifs en matière d’amélioration des installations éducatives, et les recherches d’Amnesty International dans les provinces du Gauteng et du Cap-Est ont montré que de nombreuses écoles continuent de fonctionner dans des infrastructures de mauvaise qualité sans installations essentielles.

Certains bâtiments sont notamment mal entretenus et n’ont jamais été rénovés, certains datant de plusieurs dizaines d’années avant l’époque de l’apartheid, voire plus. Les bâtiments sont dangereux, construits avec des matériaux toxiques comme l’amiante, et sont mal entretenus, ce qui dans certains cas représente un risque pour la sécurité des élèves. Les bâtiments sont également insalubres, mal entretenus et, dans certains cas, dangereux. Dans les écoles dans lesquelles Amnesty International s’est rendue, les classes étaient bondées, ne disposaient pas des équipements et outils de base, comme des fournitures ou des manuels scolaires, et l’insécurité était exacerbée par les problèmes de vandalisme et de cambriolage.

L’un des principaux problèmes en matière d’infrastructures est lié aux mauvaises installations sanitaires, qui menacent non seulement l’éducation des élèves, mais également leur santé, leur vie privée et leur dignité. Les chercheurs d’Amnesty International ont constaté à de nombreuses reprises des toilettes mal entretenues, cassées ou insalubres, notamment des latrines à fosse. Les élèves avec qui l’organisation s’est entretenue dans la province du Gauteng ont indiqué qu’il s’agissait d’un problème particulièrement grave, indiquant que dans certains cas, les toilettes étaient « sales » et « insalubres ». Dans la province du Cap-Est, les principaux problèmes cités étaient le nombre insuffisant de toilettes par rapport au nombre d’élèves (avec un ratio toilette-élève d’un pour 30), l’accès insuffisant ou peu fiable à l’eau, nécessitant souvent l’utilisation d’un puits, le manque d’hygiène et les problèmes de santé associés pour les élèves, les fuites dans les fosses septiques, les infrastructures sanitaires cassées ne pouvant être réparées par manque de fonds, ou encore l’incapacité à répondre aux actes de vandalisme et aux vols dans les installations sanitaires.

« Le fait que le Département de l’éducation de la province du Limpopo indique que le remplacement des latrines à fosse dans les écoles publiques de la province prendra environ 14 ans est choquant. Compte tenu des morts récentes, il est inacceptable que le gouvernement ne puisse pas veiller à ce que d’autres enfants ne trouvent pas la mort cette année ou dans les années à venir », a déclaré Shenilla Mohamed.

En plus des problèmes d’infrastructures, les enfants sont confrontés à d’autres obstacles en ce qui concerne l’accès à une éducation de qualité, notamment les transports insuffisants, ce qui bien souvent a non seulement des conséquences pour leur accès à l’éducation, mais les place également dans des situations dangereuses.

Certains enfants marchent 30 minutes à une heure pour se rendre à l’école, ce qui peut représenter plus de trois kilomètres. Le Département du transport, en collaboration avec le Département de l’éducation de base, a pourtant l’obligation de mettre en place des transports pour les élèves d’école primaire et secondaire vivant à plus de trois kilomètres de l’école la plus proche.

Les enfants des groupes aux plus faibles revenus sont également plus susceptibles de se rendre à pied à l’école que ceux des groupes aux revenus plus élevés. Dans la seule province du Kwazulu-Natal, où le nombre d’élèves se rendant à l’école à pied est plus élevé que dans les autres provinces, plus de 210 000 élèves marchent plus d’une heure à l’aller et au retour, et 659 000 marchent entre 30 minutes et une heure à l’aller et au retour.

Lorsqu’ils arrivent à l’école, les élèves se trouvent souvent dans des salles de classe bondées, ce qui entrave leur capacité d’apprentissage. Par exemple, Amnesty International a constaté à de nombreuses reprises que le ratio enseignant-élève était supérieur au ratio légal d’un pour 35, parfois même deux fois supérieur à ce ratio.

Amnesty International s’est rendue dans de nombreuses écoles où les ressources étaient insuffisantes pour répondre aux exigences minimales nécessaires pour un niveau d’enseignement acceptable, et ces constatations sont corroborées par les données du Département de l’éducation de base.

D’après les données de 2018 du Département, sur 23 471 écoles publiques, 20 071 n’étaient pas équipées d’un laboratoire. De plus, 18 019 ne disposaient pas de bibliothèque et 16 897 n’avaient pas d’accès à Internet. Près de 1 000 écoles ne disposaient pas d’installations sportives, 4 358 n’étaient équipées que de latrines à fosse illégales, 1 027 n’avaient pas de clôture d’enceinte, essentielle pour la sécurité des élèves et des enseignants, 239 n’avaient pas accès à l’électricité et 37 n’étaient équipées d’aucune installation sanitaire quelle qu’elle soit.

Dans ses recommandations, Amnesty International appelle à l’examen et à la réforme de la répartition du budget de l’éducation, en vue d’assurer une éducation de qualité pour toutes et tous et de lutter contre les inégalités bien ancrées dans le système.

« L’incapacité répétée du gouvernement à prendre des mesures pour remédier à ces problèmes constitue non seulement un manquement à ses responsabilités, mais a également des conséquences pour l’égalité des chances de milliers de jeunes et l’avenir de ce pays », a déclaré Shenilla Mohamed.

Complément d’information

Bien que le rapport souligne que l’Afrique du Sud a fait des progrès considérables en vue d’assurer le droit à l’éducation des élèves depuis la fin de l’apartheid, et que l’accès à l’éducation s’est élargi au point d’atteindre presque une scolarisation universelle, le nombre d’élèves abandonnant l’école avant d’avoir terminé l’enseignement primaire reste inquiétant.

Cependant, le rapport démontre également que, dans certains domaines clefs, le gouvernement mis en place après 1944 n’a pas respecté ses obligations nationales et internationales. De nombreuses écoles fonctionnent dans de mauvaises infrastructures compromettant la qualité de l’enseignement que reçoivent les élèves. Amnesty International a mené des recherches sur le terrain dans les provinces du Gauteng et du Cap-Est de novembre 2017 à juin 2019, ainsi que des recherches documentaires, analysant notamment les données statistiques disponibles.

Amnesty International Afrique du Sud a également mené un sondage en collaboration avec l’organisation National Association of School Governing Bodies (NASGB) dans trois provinces (Gauteng, Cap-Est et Limpopo). Dans ce cadre, 27 questions étaient posées sur des sujets tels que la gouvernance et le rôle des organes de gouvernance des écoles, les infrastructures, les financements, la sécurité et le transport. Le questionnaire a été envoyé à 101 responsables de la NASGB représentant des écoles de leur zone de compétence au sein des trois provinces.