Les renvois par l’UE de réfugiés vers la Turquie sont illégaux

L’Union européenne (UE) doit immédiatement mettre un terme aux mesures visant à renvoyer les personnes en quête d’asile vers la Turquie sous le prétexte fallacieux qu’il s’agit d’un « pays sûr » pour les personnes réfugiées, souligne Amnesty International dans un rapport rendu public vendredi 3 juin.   Ce rapport, intitulé <media 2940>No safe refuge: Asylum-seekers and refugees denied effective protection in Turkey</media>, expose les failles du système d’asile turc et les difficultés auxquelles se heurtent en Turquie les personnes réfugiées, qui rendent leur renvoi dans ce pays au titre de l’accord entre l’UE et la Turquie du 18 mars illégal et scandaleux.   Ce rapport montre que le système d’asile turc a du mal à faire face au nombre extrêmement élevé de personnes réfugiées et en quête d’asile, qui sont plus de trois millions. En conséquence, les demandeurs d’asile peuvent avoir à attendre pendant plusieurs années que leur cas soit examiné, et durant cette période d’attente ils ne reçoivent pas, ou quasiment pas d’aide pour trouver un abri et de quoi vivre pour eux-mêmes et pour leurs proches, ce qui amène des enfants n’ayant parfois pas plus de neuf ans à travailler pour aider leur famille.   « L’accord entre l’UE et la Turquie est irréfléchi et illégal. Les recherches menées par Amnesty International montrent qu’il est erroné de penser que la Turquie est à même de respecter les droits et de subvenir aux besoins de plus de trois millions de personnes réfugiées et en quête d’asile, a expliqué John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.   « En cherchant opiniâtrement à empêcher les arrivées irrégulières en Europe, l’UE a volontairement donné une fausse image de ce qui se passe sur le terrain en Turquie. Il faut s’attendre à ce que le nouveau système d’asile ait beaucoup de mal à faire face à la situation, dans un pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés au monde. Il est juste d’encourager la Turquie à mettre en place un système d’asile pleinement opérationnel, mais l’UE ne doit pas se comporter comme si un tel système existait déjà. »   La Turquie ne protège pas les droits des réfugiés Bien que la Turquie se montre généralement accueillante à l’égard des personnes réfugiées, le nombre très élevé de personnes arrivées dans ce pays – environ 2,75 millions de réfugiés syriens et 400 000 réfugiés et demandeurs d’asile venant d’autres pays (essentiellement d’Afghanistan, d’Irak et d’Iran) – pèse forcément énormément sur son nouveau système d’asile et sur sa capacité à répondre aux besoins les plus élémentaires de ces personnes.   Le rapport montre que le système d’asile turc ne respecte pas les trois conditions essentielles requises par le droit international pour que le renvoi en Turquie de personnes en quête d’asile soit légal : un statut, des solutions durables et des moyens de subsistance.   1.     Le statut La Turquie ne dispose pas de capacités suffisantes pour traiter les demandes d’asile, ce qui signifie que des centaines de milliers de personnes réfugiées et en quête d’asile restent pendant des années sans statut juridique. Les autorités turques ont refusé de fournir à Amnesty International des statistiques sur l’asile. En avril, toutefois, elles ont indiqué avoir traité 4 000 demandes d’asile, ce qui représente 1,5 % des 266 000 demandes enregistrées par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en 2015.       2.     Des solutions durables Les personnes réfugiées doivent être soit intégrées dans le pays, soit réinstallées dans un autre pays, soit rapatriées dans leur pays d’origine à condition que ce pays soit sûr. Or, la Turquie n’octroie pas le statut de réfugié/e plein et entier, ni une intégration, aux réfugiés non européens, et la communauté internationale ne fournit pas de solutions suffisantes de réinstallation. Les réfugiés se retrouvent donc dans une impasse : ils ne peuvent pas se construire une nouvelle vie en Turquie, et leurs chances de se voir offrir une solution de réinstallation dans un autre pays au cours des prochaines années sont faibles, voire nulles.   Faiza (son nom a été modifié) et sa sœur, Afghanes toutes les deux, se sont enfuies d’Iran pour échapper à un mariage forcé, et elles ont été reconnues réfugiées en Turquie. Pendant trois ans, elles ont en vain attendu d’obtenir un entretien dans une ambassade d’un pays de réinstallation. Elles ont finalement estimé que la seule solution était d’embarquer à bord du bateau d’un passeur pour aller en Grèce, au péril de leur vie.   Faiza a dit à Amnesty International que si elles avaient eu la possibilité de quitter la Turquie en toute sécurité et de façon régulière, et si elles avaient pu obtenir une aide quelconque en attendant l’issue de la procédure, sa sœur et elle auraient continué d’attendre. Elle a ajouté : « Si nous avions eu l’espoir d’obtenir une réinstallation, nous aurions attendu. Nous avions vraiment très peur de faire ce voyage vers l’Europe parce que nous savions que c’était dangereux. Mais… nous étions dans une situation très difficile. Nous nous sommes dit : "Nous allons peut-être mourir, ou ne jamais arriver à destination, mais tant pis car nous ne pouvons pas rester en Turquie plus longtemps encore." »   3.     Des moyens de subsistance La grande majorité des réfugiés syriens et venant d’autres pays sont contraints de chercher un abri sans aucune aide du gouvernement. Même si les autorités turques fournissent un logement à plus de 264 000 réfugiés syriens dans des camps situés dans des provinces du sud du pays, il n’est pas réaliste de penser qu’elles sont en mesure d’offrir un abri aux 2,48 millions (90 % du chiffre total) d’autres personnes réfugiées venant de Syrie. Par ailleurs, le pays a fourni un accès à un logement social à 100 des 400 000 (c’est-à-dire 0,025 % du chiffre total) demandeurs d’asile et réfugiés venant d’autres pays. Dès lors, près de trois millions de personnes réfugiées et en quête d’asile sont contraintes de trouver par leurs propres moyens un abri.   Les chercheurs d’Amnesty International se sont entretenus avec 57 personnes réfugiées en Turquie entre mars et mai 2016. Toutes ont expliqué qu’il est très difficile de survivre sans quasiment aucune aide des autorités, et la grande majorité s’en sortent grâce à la charité de membres de leur famille, d’autres demandeurs d’asile, ou de communautés religieuses.   Des réfugiés ont raconté à Amnesty International qu’ils vivent dans des abris de fortune ou qu’ils dorment parfois dans des mosquées, des parcs ou des stations de métro parce qu’ils ne peuvent pas payer un loyer. Deux familles afghanes, qui avaient perdu trois enfants morts par noyade au cours d’une tentative de traversée de la mer, dormaient sous un pont à Istanbul.   « La Turquie est un pays hôte généreux pour les personnes réfugiées, mais les promesses faites aux dirigeants de l’UE ne se traduisent pas sur le terrain. Les demandeurs d’asile et les réfugiés se retrouvent bloqués durant des années en Turquie, et pendant qu’ils attendent, ils ne reçoivent pas d’aide et n’ont pas le droit de subvenir à leurs besoins, a déclaré John Dalhuisen.   « Cela ramène à la réalité les dirigeants européens. Il est peut-être politiquement avantageux pour eux d’externaliser leur obligation juridique d’aider les personnes qui fuient un conflit, mais de toute évidence ils se trompent lourdement s’ils pensent qu’ils peuvent le faire en toute légalité et sans infliger des souffrances supplémentaires à des personnes qui fuient une situation déjà tragique. »   Des enfants réfugiés travaillent pour joindre les deux bouts Le rapport met aussi en garde contre le fait qu’en Turquie les enfants réfugiés travaillent souvent pour aider leur famille à subvenir à ses besoins les plus élémentaires.   Une Syrienne mère de trois jeunes garçons a expliqué à Amnesty International que les sept membres de la famille survivent grâce aux cinq à 10 livres turques (environ 1,75 à 3,50 USD) que gagne quotidiennement son fils âgé de neuf ans, qui travaille dans une épicerie. Son mari ne peut pas travailler à cause des blessures causées par des éclats de projectiles qu’il a subies en Syrie.   L’UE doit partager, et non externaliser, ses responsabilités Au lieu de se décharger sur la Turquie de ses responsabilités, l’UE devrait plutôt chercher à lancer un ambitieux programme de réinstallation pour les personnes réfugiées qui se trouvent actuellement dans ce pays.   Alors que la Turquie accueille plus de trois millions de demandeurs d’asile et de réfugiés, soit plus que tout autre pays au monde, en 2015 les États membres de l’UE ont collectivement réinstallé seulement 8 155 personnes réfugiées venant de divers pays du monde.   « L’Union européenne a réagi face à l’une des pires catastrophes humanitaires de notre temps en érigeant des barrières, en déployant un nombre accru de gardes-frontières, et en concluant des accords douteux avec des pays voisins afin d’empêcher les gens d’entrer sur son territoire. Cette politique se traduit par de la détresse, des souffrances et un nombre accru de morts en mer », a déclaré John Dalhuisen.   Complément d’information :

L’accord entre l’UE et la Turquie est d’ores et déjà entaché par des renvois forcés depuis la Turquie vers l’Afghanistan, l’Irak et la Syrie

Le 18 mars 2016, l’UE et la Turquie ont conclu un accord de grande portée en matière de contrôle des migrations, qui est formellement une déclaration. En échange d’une aide financière de six milliards d’euros et de concessions politiques de la part de l’UE, la Turquie a accepté de récupérer tous les « migrants en situation irrégulière » qui ont atteint les îles grecques après le 20 mars.   Les tenants de cet accord tentent de le justifier en affirmant que la Turquie est un pays sûr où les personnes réfugiées et en quête d’asile peuvent être renvoyées. En dehors du fait que les droits des réfugiés ne sont pas respectés sur son territoire (ce qui constitue le sujet du rapport), la Turquie ne semble pas pouvoir être considérée comme un pays « sûr » également parce qu’elle envoie des personnes dans des pays où elles risquent de subir de graves violations des droits humains. De précédentes recherches menées par Amnesty International avaient déjà montré que fin 2015 et début 2016, des personnes réfugiées et en quête d’asile en Turquie avaient été renvoyées en Afghanistan, en Irak et en Syrie, où elles étaient précisément exposées à un tel risque.