Victime de viol âgée de 15 ans du Nord Kivu, République démocratique du Congo.

La justice internationale pour lutter contre les violences sexuelles dans les conflits armés et soutenir les victimes

Article d’opinion du groupe Justice internationale d’Amnesty International Luxembourg à l’occasion de la Journée de la justice pénale internationale.   Au cours de ces derniers mois, les violences sexuelles et liées au genre suscitent un tollé international assourdissant, notamment à la suite du viol et du meurtre de deux jeunes filles en Inde et l’enlèvement des écolières au Nigeria. Si la couverture médiatique accordée à chacun de ces cas a poussé les gouvernements à agir, les autorités restent souvent passives face aux violences sexuelles commises dans le cadre des conflits, malgré le nombre choquant de personnes que cela touche.

La violence sexuelle, sous toutes ses formes, envers les personnes de tous sexes et de tout âge, est une arme de guerre redoutable dans les conflits armés. Les viols de masse commis pendant le génocide du Rwanda, la guerre civile en Sierra Leone, au Libéria, en ex-Yougoslavie et en République démocratique du Congo en sont une illustration récente.

Dans de nombreux pays, comme la Colombie, la Libye, le Mali, la République arabe syrienne et la République démocratique du Congo, la violence sexuelle a été utilisée pour contraindre des populations à se déplacer, à l’intérieur ou au-delà des frontières de leur pays. En cette même République démocratique du Congo, des groupes armés ont utilisé le viol pour punir des civils qui les empêchaient de braconner et de se livrer au trafic de minerais. Des mariages forcés, des viols et des faits d’esclavage sexuel par des agents armés ont également eu lieu dans le cadre des conflits au Mali, en République centrafricaine, en Somalie, au Soudan du Sud et au Yémen. Et la liste est encore longue…

La plupart du temps, les criminels agissent dans l’impunité, et les victimes, si elles survivent, sont broyées dans leur corps et dans leur âme, voire pour certaines (y compris les enfants issus de viols) stigmatisées et rejetées par leurs proches. Les condamnations par les tribunaux nationaux ou internationaux sont peu nombreuses, et bien trop peu de victimes sont prises en charge tant sur le plan matériel, médical que psychologique.

La justice internationale est un moyen de lutter contre ces crimes et d’apporter les réparations et le soutien que doivent recevoir les victimes. Ainsi, le statut de Rome, qui a créé la Cour pénale internationale (CPI) en 1999, qualifie de crimes contre l’humanité le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée et toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable commise dans le cadre d’une attaque généralisée contre une population civile. Cela peut sembler être une évidence, mais la reconnaissance de tels crimes sexuels comme crimes contre l’humanité est une avancée relativement récente. Auparavant, uniquement le viol était reconnu comme crime contre l’humanité par le Statut du Tribunal international pour la Yougoslavie et celui du Tribunal international pour le Rwanda.

Actuellement, une vague d’espoir a été soulevée par le récent Sommet mondial pour éliminer les violences sexuelles dans les conflits armés, qui s’est tenu à Londres du 10 au 13 juin 2014. Organisé par ONU-Femmes et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, il a accueilli plus de 120 délégations dirigées par des représentants gouvernementaux, ainsi qu’un grand nombre d’agence onusiennes, d’experts et d’ONG. Le Luxembourg y a participé au plus haut niveau avec la présence du Ministre des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, et de la Grande-Duchesse Maria Teresa.

A cette occasion, Amnesty International a exprimé plusieurs recommandations aux Etats, incluant entre autres : (i) la révision de la législation nationale existante pour garantir que le viol et les autres formes de violences sexuelles soient qualifiés en tant que crimes du droit international, (ii) le refus de refuge aux auteurs de violences sexuelles et liées au genre, (iii) la création des programmes d’assistance et de réparation pour les victimes de violences sexuelles, (iv) l’accès à la santé et aux droits sexuels et reproductifs pour les victimes, (v) plus de soutien financier au Fonds au profit des victimes de la CPI. (vi) la ratification du traité sur le commerce des armes la mise en œuvre de ses dispositions relatives aux violences liées au genre. La liste complète des recommandations d’Amnesty International peut être consultée ici.

Quelques jours avant le sommet, le Bureau du Procureur de la CPI a donné un signal très fort en publiant un " Document de politique générale relatif aux crimes sexuels et à caractère sexiste ", seul document de ce genre adopté par une juridiction internationale à ce jour, qui doit, selon la Procureur, Fatou Bensouda, constituer " un socle sur lequel nous pouvons et devons tous nous appuyer pour lutter efficacement contre le fléau des crimes sexuels et à caractère sexiste ". Le Bureau du Procureur y réaffirme notamment son engagement à accorder une attention particulière aux crimes sexuels et à motivation sexiste conformément aux dispositions du Statut de Rome, et nous espérons qu’il s’en ensuivra une augmentation du nombre de poursuites et surtout des condamnations par la CPI pour ce type de crimes.

A l’occasion du sommet, le Fonds au profit des victimes de la CPI a reçu une donation d’un million de pounds de la part de la Grande-Bretagne, qui est allouée aux victimes de violences sexuelles. Le Fonds au profit des victimes de la CPI mène actuellement des programmes d’assistance en association avec des partenaires à plus de 110 000 victimes de crimes relevant de la CPI dans le nord de l’Ouganda, en République démocratique du Congo et en République centrafricaine, notamment en matière de violences sexuelles.

Les programmes du Fonds en matière de violences sexuelles visent principalement à apporter une réponse sanitaire et psychosociale aux victimes et à sensibiliser les communautés aux violences sexuelles et aux droits des victimes survivantes.

Ainsi, en République démocratique du Congo, avec le soutien du Fonds, des partenaires du Fonds ont pu, par exemple, fournir des services d’urgence tels que soins médicaux, pilule du lendemain et soutien psychologique. Ils ont encouragé les communautés à lutter contre les violences sexuelles et à les signaler par la création de groupes de travail communautaire. Un service de médiation familiale a également été mis en place pour encourager les parents ou les maris des personnes ayant survécu à des violences sexuelles à les autoriser à rentrer chez elles (y compris avec leurs enfants).

Lors du Sommet mondial pour éliminer les violences sexuelles dans les conflits armés, le Ministre des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, a insisté sur l’importance d’un financement suffisant qui permettra aux survivants de la violence sexuelle dans les conflits d’accéder à des soins de santé sexuelle et reproductive ainsi qu’à des services de santé psychosociale et mentale. Nous ne pouvons qu’adhérer à ces propos, et nous encourageons le Luxembourg à soutenir les victimes de violences sexuelles dans le cadre de conflits armés en faisant, à la suite de ce sommet, une donation conséquente au Fonds au profit des victimes de la CPI.