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Comment le Luxembourg peut aider les enfants victimes des conflits armés

Article d’opinion du groupe Justice Internationale d’Amnesty International Luxembourg

Aujourd’hui, 17 juillet, nous célébrons la Journée de la justice pénale internationale. Cette journée est l’occasion de se rappeler de l’importante avancée faite par la communauté internationale le 17 juillet 1998 lorsqu’une conférence de 160 Etats a créé, sur la base d’un traité – le Statut de Rome, la Cour pénale internationale (CPI). Celle-ci est compétente pour ouvrir des enquêtes, poursuivre et juger des personnes accusées d’avoir commis les crimes internationaux les plus graves : le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression. La mise en place de cette Cour devait ainsi mettre fin à l’impunité des auteurs de ces atrocités et donner enfin la possibilité aux victimes de faire entendre leur voix.

Un signal fort contre l’impunité

Parmi les crimes les plus odieux commis pendant les conflits armés et sanctionnés par le Statut de Rome figurent les violences dirigées contre les enfants. Il s’agit principalement de l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et de leur utilisation active dans les hostilités, ainsi que de leur réduction en esclavage, y compris l’esclavage sexuel.

Le recrutement ou l’emploi d’enfants soldats a d’ailleurs été au cœur de la première condamnation prononcée par la CPI le 10 juillet 2012 à la charge de Thomas Lubanga, pour avoir forcé des enfants à participer activement à la guerre civile en République Démocratique du Congo (RDC). Reconnu coupable de plusieurs chefs d’accusation, dont l’enrôlement d’enfants soldats, l’ancien Président du Liberia, Charles Taylor, a lui été condamné le 30 mai 2012 par le Tribunal spécial pour le Sierra Leone à 50 ans de prison. Il s’agit là de réussites indéniables de la justice internationale envoyant un signal fort contre l’impunité.
Attaques contre les écoles

Pour l’heure, les condamnations et les poursuites par des juridictions internationales en la matière sont cependant rares. D’autres protagonistes du conflit en RDC sont actuellement sur la sellette de la CPI. Des mandats d’arrêt ont également été émis par le Procureur de la Cour contre plusieurs membres de l’Armée de résistance du Seigneur en Ouganda, notamment pour des crimes de réduction en esclavage et d’enrôlement forcé d’enfants.

Dans ces conditions et au vu de l’ampleur du phénomène à l’échelle mondiale, les progrès à accomplir demeurent importants comme le souligne le Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) dans son rapport du 15 mai 2013 sur " Le sort des enfants dans les conflits armés ".

Le rapport en question fait état de 22 situations de conflits actuels donnant lieu à des violations contre les droits des enfants, le Sud Soudan et la Syrie ayant été rajoutés à cette liste noire. Des forces armées, principalement non étatiques et dans une moindre mesure gouvernementales, s’y adonnent au recrutement, aux mutilations, au meurtre et au viol d’enfants. En outre, les attaques visant les écoles ainsi que l’occupation de ces dernières à des fins militaires privent les enfants de l’accès à l’éducation. La population civile représente aujourd’hui 90 pourcent des victimes des conflits armés, la moitié étant des enfants.

Le Luxembourg, Etat partie de la CPI depuis 2000, se trouve actuellement en position de jouer un rôle de protagoniste dans ce domaine au niveau international. En effet, depuis le 1er janvier 2013 et pendant deux ans, le Grand-Duché préside le groupe de travail du Conseil de sécurité de l’ONU sur les enfants et les conflits armés.

Ce groupe de travail est né en 2005 pour faire face à l’utilisation massive d’enfants dans le cadre des conflits armés, notamment internes. Le groupe a pour mandat d’examiner les rapports sur l’utilisation d’enfants soldats dans divers pays qui lui sont soumis par le Secrétaire Général de l’ONU, d’analyser les progrès réalisés dans le cadre des plans d’action de l’ONU et de présenter des recommandations aux parties au conflit, aux gouvernements, aux donateurs et aux organes des Nations Unies.

Le Luxembourg a joué un rôle-clé

Le 17 juin dernier, le Luxembourg a joué un rôle clé dans l’adoption d’une déclaration présidentielle du Conseil de Sécurité à la fin d’un débat de haut niveau sur " les enfants et les conflits armés ", organisé sous présidence britannique à l’occasion de la publication du rapport annuel du Secrétaire général des Nations Unies sur le sort des enfants en temps de conflit armé. Parmi les succès du groupe sur les enfants et les conflits armés du Conseil de sécurité compte l’action pénale engagée contre Kyungu Mutanga, ex-commandant de milices " Mai-Mai " en RDC, pour l’enrôlement de 300 enfants entre 2003 à 2006. Suite aux recommandations vigoureuses du groupe, les autorités congolaises ont poursuivi les membres de ces milices, accusés de crimes graves à l’égard des enfants.

Ce succès du groupe de travail est à saluer particulièrement dans la mesure où les acteurs principaux de la justice pénale internationale sont et doivent être en premier lieu les Etats. C’est aux Etats qu’il incombe de mener des poursuites envers les responsables des crimes les plus graves et de collaborer pleinement avec la CPI lorsque cela est nécessaire.

Le Grand-Duché peut aller plus loin

En effet, la CPI n’a qu’une compétence complémentaire à celle des Etats. Elle ne peut intervenir que lorsque les juridictions nationales n’ont pas la volonté ou la compétence pour mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites.

Lorsque les Etats concernés n’entreprennent aucune action, la juridiction universelle permet aux autres Etats parties au Statut de Rome de poursuivre les auteurs des crimes, peu importe leur nationalité ou le lieu du crime.

A l’intérieur de ses frontières, le Luxembourg a franchi une étape importante dans la mise en œuvre du Statut de Rome en adoptant le 27 février 2012 deux lois : la première transpose le Statut de Rome dans son droit pénal, la seconde règlemente la coopération avec la CPI.

Néanmoins, des efforts supplémentaires restent à faire dans ce domaine. En particulier, selon l’article 7-4 du Code d’instruction criminelle introduit par la loi de février 2012, une personne qui se sera rendue coupable de crimes définis dans le Statut de Rome à l’étranger ne pourra être poursuivie et jugée au Grand-Duché que lorsqu’une demande d’extradition est introduite par un autre Etat et que l’intéressé n’est pas extradé par l’Etat luxembourgeois. La possibilité pour l’état luxembourgeois de poursuivre les auteurs des crimes internationaux les plus graves est donc assez réduite.

La modification de ces dispositions législatives afin d’élargir les possibilités d’intervention des autorités judiciaires permettrait au Luxembourg d’agir pleinement en faveur des milliers d’enfants victimes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans les conflits armés et de devenir un exemple à suivre au niveau international.

En tant qu’Etat à la présidence du groupe sur les enfants et les conflits armés du Conseil de sécurité, le Luxembourg doit saisir l’occasion pour jouer un rôle déterminant dans la justice pénale internationale, tant au niveau international qu’à l’intérieur de ses frontières.